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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


dans son château de Roissy, il y prit part à une orgie avec quelques débauchés. D’après le récit qu’il a fait lui-même de cette folie, dans son Histoire amoureuse des Gaules, « ces bonnes âmes, échauffées par le vin, se proposèrent, comme divertissement, de médire de tout le genre humain, en exceptant leurs amis. » Ce fut alors qu’ils chantèrent cet alleluia, resté, heureusement pour l’honneur de Bussy, douteux dans sa forme, mais, en tout cas, peu édifiant, et qu’il dut souvent depuis entendre retentir à ses oreilles, comme le glas de sa fortune. La veine de médisance ne fut point tellement épuisée, pendant cette nuit de « plaisirs champêtres, » qu’on ne reprit le lendemain matin l’entretien charitable sur le prochain. Bussy fit alors devant ses amis, s’il a été historien exact, ce portrait de madame de Sévigné qu’il a depuis écrit et achevé à loisir. S’il a la plume à la main, poli et aiguisé les traits de cette méchanceté, il n’est pas probable que, dans la bonne compagnie ou il était, ils aient été moins envenimés. Trois mois après, Bussy, dont le cantique, outrageant, à ce qu’on racontait, et pour le roi lui-même et pour la famille royale, avait fait un bruyant scandale, reçut un ordre d’exil dans ses terres de Bourgogne. Il profita de ses loisirs pour écrire en 1660, dans son château de Bussy, son Histoire amoureuse des Gaules. Il n’avait voulu, a-t-il dit, qu’amuser madame de Montglas, et ne destinait son pamphlet à aucune publicité. Mais il le donnait volontiers à lire à quelques amis. Il en avait prêté le manuscrit à la marquise de la Baume, qui secrètement le fit copier. Les copies se multiplièrent avec rapidité, passèrent de main en main, et les presses de Liége, au commencement de 1665, répandirent le scandaleux libelle.

Le portrait que Bussy avait fait de sa cousine à ses amis de Roissy, avait trouvé place dans l’Histoire amoureuse. Eût-il été moins cruellement satirique, c’eût encore été une bien condamnable indécence que de l’avoir mis au milieu de ces peintures imitées ou copiées de Pétrone. Il avait du reste une fausse ressemblance, beaucoup plus dangereuse que n’eût été l’évidente calomnie d’un outrage plus grossier. Il est cependant probable que Bussy n’avait pas fait ce perfide calcul. Sa grande colère contre madame de Sévigné n’avait pu détruire en lui toute estime pour elle ; et, d’ailleurs, plus caustique que menteur, il avait naturellement, et sans la préméditer comme une