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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


se rendant à l’armée de Lorraine pour le siége de Marsal, il puisa quatre mille francs dans cette bourse miséricordieuse, qu’il avait accusée d’être si durement fermée aux amis[1]. Dans l’automne de 1664, il revit sa cousine en Bourgogne ; il fut reçu par elle dans le manoir de Bourbilly[2] ; et madame de Sévigné lui écrivait plus tard, « qu’elle lui avoit alors redonné avec franchise toute la part qu’il avoit jamais eue dans son amitié, et qu’elle étoit revenue entêtée de sa société. » Mais le portrait n’avait pas été si bien brûlé qu’il ne pût reparaître. Le phénix (madame de Sévigné a trouvé une métaphore plus juste de crapauds et de couleuvres) s’avisa de renaître de ses cendres. Il s’envola des mains infidèles de madame de la Baume et parcourut le monde. Madame de Sévigné se repentit de son indulgence. Il lui parut que Bussy l’avait trompée, trahie. Son indignation et sa douleur furent extrêmes : « Être dans les mains de tout le monde, se trouver imprimée ; être le livre de divertissement de toutes les provinces, se rencontrer dans les bibliothèques[3] ! » Elle révoqua son pardon ; elle ne voulait plus entendre parler de son perfide cousin.

Cependant celui-ci, par son Histoire amoureuse, avait provoqué des colères plus implacables et plus puissantes que celle de madame de Sévigné. Il fut arrêté le 17 avril 1665 et jeté à la Bastille. Il y resta treize mois, assez durement traité, écrivant en vain, avec une extrême faiblesse de courage et une déplorable bassesse d’adulation, placets sur placets, en prose et en vers. Enfin, le 16 mai 1666, on lui permit de sortir de sa prison et d’aller, en attendant qu’il fût en état d’y rentrer, se faire soigner d’une maladie très-grave chez le chirurgien Dalancé. La première visite qu’il y reçut fut celle de madame de Sévigné[4]. Les plus justes rancunes de cette aimable femme ne pouvaient durer plus longtemps que cela, surtout en face du malheur. Bussy dit que cette visite lui fit d’autant plus de plaisir qu’il ne s’y attendait pas ; madame de Sévigné, au contraire[5], que Bussy lui envoya dire, avec une confiance dont elle fut

  1. Mémoires de Bussy, tome II, p. 143.
  2. Lettre de Bussy à madame de Sévigné, 21 novembre 1666.
  3. Lettre à Bussy, 26 juillet 1668.
  4. Lettre de Bussy à madame de Sévigné, 29 juillet 1668.
  5. Ibid.