en Provence, aigrir les inimitiés ; que « ses paroles étaient
tranchantes et mettaient de l’huile dans le feu[1] ; » et que d’autre
part M. de Forbin Janson, s’il fut ferme dans la lutte, ne se
départit pas, avec ceux qu’il combattait, d’une politesse, d’une
courtoisie, d’une disposition à se réconcilier, qui le fit accuser
par eux de perfidie doucereuse. « Poignarder et embrasser,
disait de lui madame de Sévigné, ce sont des manières. » Cette
imputation eût-elle été juste, on ne s’aperçoit pas beaucoup
que les adversaires de l’évêque s’efforçassent de le surpasser en
franchise. Madame de Grignan prit quelques moments sur elle
de lui témoigner une amitié dont « la dissimulation, disait-elle,
était le lien, et son intérêt le fondement[2]. » Madame de Sévigné
l’encourageait dans cette conduite artificieuse, toujours, sans
aucun doute, par son excellente politique de n’avoir pas d’ennemis, mais beaucoup d’amis, et avec la très-sage pensée de
modérer une ardeur qui courait au-devant des inimitiés, mais
aussi, il faut le dire, avec une complaisance excessive pour
des passions qui n’étaient pas les siennes, qui n’étaient pas
dignes d’elle : « Continuez, lui écrivait-elle, l’amitié sincère
qui est entre vous ; ne levez pas le masque, et ne vous chargez point d’avoir une haine à soutenir : c’est un plus grand
fardeau que vous ne pensez[3]. » Elle eût assurément souhaité
une meilleure paix ; mais, dans sa faiblesse maternelle, elle
composait avec les sentiments de sa fille. En vain lui écrivait-elle : « Vous haïssez trop l’évêque : l’oisiveté vous jette dans cet
amusement[4] ; » elle-même, dont l’âme était parfaitement douce,
bienveillante et juste, finissait par épouser ces haines, qu’elle
trouvait avec raison si mal habiles et si provinciales. Ce qui valait
mieux, elle usait de tout son crédit et de celui de ses amis, elle
multipliait ses démarches, déployait toute son habileté et son
éloquence, savait trouver ses paroles les mieux rangées pour
défendre auprès des ministres les intérêts de M. de Grignan.
Elle ne cessait de plaider sa cause dans ses entretiens avec
M. de Pomponne ; elle chargeait sa cousine madame de Cou-
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NOTICE BIOGRAPHIQUE