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NOTICE BIOGRAPHIQUE


les marques de la plus tendre amitié, madame de Sévigné revint près de sa fille. Elles allèrent toutes deux, à la fin d’octobre, passer douze jours à Livry, dont l’abbaye, veuve du bien bon, allait devenir la propriété d’un nouveau possesseur. C’était un dernier adieu que madame de Sévigné voulait faire à cette jolie abbaye, « avant, disait-elle, qu’on l’en chassât par les épaules. » Lorsqu’elle la quitta, un nouvel abbé venait d’être nommé : c’était Séguier, ancien évêque de Nîmes. Le chagrin de madamé de Sévigné était grand en s’éloignant, pour ne la plus revoir, de cette aimable solitude, qui était, disait-elle, son lieu favori pour écrire, et dont elle avait besoin lorsqu’elle avait quelque peine. Sa fille aussi aimait Livry. « Il me semble, lui disait madame de Sévigné, que la tendresse que vous avez pour ce bien est une branche de l’amitié que vous avez pour moi. » Que de doux souvenirs dans ces charmantes et paisibles promenades tant de fois parcourues ensemble ! Dans des demeures si longtemps habitées il finit par y avoir comme une part de nous-mêmes. Elles deviennent mieux que des habitudes, elles deviennent des amis ; elles ont une voix qui nous parle, elles ont une âme. « J’en suis sortie tout affligée, écrivait madame de Sévigné à Bussy ; après avoir pleuré l’abbé, j’ai pleuré l’abbaye. » Mais elle n’eut point la douleur d’en être à jamais exclue, comme elle le croyait. Qui eût pu avoir la cruauté de ne l’y pas laisser revenir comme chez elle ? Elle écrivait à sa fille, dans les derniers jours de l’année suivante : « Si vous aviez été ici, nous aurions fort bien pu aller à Livry ; j’en suis, en vérité, la maîtresse comme autrefois[1]. » En 1689, l’abbaye, devenue encore une fois vacante, fut donnée à l’évêque de Senlis , Sanguin. On se souvient qu’un Sanguin, père du poëte Saint-Pavin, avait été seigneur de Livry. Toute cette famille avait longtemps demeuré dans le voisinage de l’abbaye. « Elle leur convient si fort, disait madame de Sévigné à sa fille, qu’il me semble qu’elle est moins loin de moi que si elle étoit à un autre. Ce sont tous nos anciens voisins[2]... Ces Sanguin, l’idée du vieux Pavin, ces anciennes connoissances se sont tellement confondues avec notre jardin et notre forêt, qu’il me semble que c’est une même chose, et

  1. Lettre du 8 décembre 1688.
  2. Lettre du 20 novembre 1689.