Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
275
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


cris de joie : « Savez-vous bien ce que c’est que de payer l’amende ? C’est un affront ; c’est une manière d’amende honorable ; il n’y a au delà que le fouet et la fleur de lys. »

Madame de Grignan avait quitté sa mère, pour retourner en Provence, le 3 octobre 1688. La séparation s’était faite à Charenton, avec bien des larmes[1] ; et madame de Sévigné était revenue seule dans son hôtel de Carnavalet, qui maintenant lui paraissait vide. Dans cette chambre, si longtemps habitée par la belle Madelonne, il n’y avait plus que la souffreteuse mademoiselle de Méri. Le philosophe Corbinelli vivait retiré dans un autre coin de la maison, où l’on ne le voyait presque point. Dans l’appartement du bas était le pauvre chevalier, impotent, perclus de goutte, qu’il fallait porter et qui n’allait presque plus à Versailles. Le petit marquis de Grignan venait de quitter Paris presque en même temps que sa mère. La guerre de la ligue d’Augsbourg commençait. Le 25 septembre, le Dauphin était parti pour Philisbourg, que le roi l’envoyait assiéger. Le jeune Louis Provence, alors âgé de dix-sept ans, suivit le prince, comme volontaire, dans le régiment de Champagne dont son père avait été colonel. Il y commandait une compagnie que sa mère avait elle-même formée et choisie pour lui, et que madame de Sévigné déclarait « la plus belle de l’armée. » Madame de Grignan avait donc emporté en Provence une grande inquiétude. Nous avons trouvé son cœur maternel trop fermé quelquefois à ses autres enfants. Le jeune marquis y conservait-il, comme dans sa première enfance, une place privilégiée ? ou madame de Sévigné s’exagéra-t-elle, pendant cette campagne, les angoisses de sa fille ? Ce qui du moins n’est pas douteux, c’est que madame de Grignan mettait surtout en ce fils son orgueil de mère. Elle avait fait de grandes dépenses pour sa compagnie. M. de Grignan était obligé de lui représenter qu’elle ne croyait jamais que le jeune marquis eût assez d’habits[2]. Rien ne lui coûtait pour le faire paroître. Sa joie était de le voir briller. Elle admirait sa danse, sa grâce, son bon airs[3]. »

  1. Lettre à madame de Grignan, 3 juillet 1689.
  2. Lettre de madame de Grignan à M. de Grignan, 5 janvier 1688.
  3. Ibid.