son bon gouverneur à cette peinture[1]. Elle le défendait avec
toute la vivacité de l’amitié contre les railleries et les rancunes
de sa fille. C’était une juste et bonne inspiration de son cœur.
Dans ce même temps, sans qu’elle le sût, la duchesse de
Chaulnes s’occupait d’elle avec une sollicitude touchante et discrète, et arrangeait avec ses amies un peut complot pour l’obliger, en cachant la main qui lui rendait service. On s’affligeait
de voir madame de Sévigné dans ses humides Rochers ; on l’y
croyait en mauvais air, malgré ses protestations en faveur d’un
séjour qui lui plaisait tant. Madame de Chaulnes, madame de la
Fayette et madame de Lavardin avaient juré de l’en tirer, et
comme elles savaient que la gêne où son amour maternel l’avait
réduite, et la résolution d’éviter toute dépense afin de payer ses
dettes, étaient les raisons qui la retenaient en Bretagne, la conspiration fut ourdie en conséquence. Madame de Chaulnes devait remettre mille écus entre les mains de Beaulieu, valet de
chambre de madame de Sévigné, et celle-ci serait avertie qu’en
arrivant à Paris elle trouverait cet argent comme tombé du
ciel, sans avoir à s’acquitter que dans le temps qu’elle voudrait envers son mystérieux créancier. Ce fut madame de la
Fayette qui se chargea de sommer son amie de revenir à Paris
et de l’avertir des facilités qu’elle y trouverait. Elle le fit dans
un billet charmant, où l’affection la plus vive et la plus sincère
s’exprime avec une brusquerie de langage qui la rend plus
touchante encore : « Il est question, ma belle, qu’il ne faut
point que vous passiez l’hiver en Bretagne, à quelque prix que
ce soit. Vous êtes vieille, les Rochers sont pleins de bois : les
catarrhes et les fluxions vous accableront ; vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera... Ne me parlez
point d’argent ni de dettes. » Puis elle lui expliquait que ne
devant pas trouver sa maison prête, et n’ayant pas de chevaux,
elle descendrait d’abord à l’hôtel de Chaulnes, et que trois
mille francs qu’on lui prêtait l’attendaient chez elle. « Point de
raisonnements là-dessus, point de paroles ni de lettres perdues ;
il faut venir : tout ce que vous m’écrirez, je ne le lirai seulement pas... Nous ne voulons point d’une amie qui veut vieillir
- ↑ Lettre du 12 octobre 1689.