Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


y a sur plusieurs autres points de telles apparences contre madame de Grignan, et sa mère, tout en l’adorant et la louant toujours, dépose si souvent contre elle, que, si ces apparences et ce témoignage lui font un tort immérité, il a été bien fâcheux de ne pas la laisser se peindre elle-même. Ses lettres ne pouvaient manquer d’être une image de son âme, d’une fidélité plus irrécusable que toute autre ; et peut-être cette image nous l’eût-elle fait voir moins froide et moins dédaigneuse, fille plus reconnaissante et mère plus tendre qu’elle ne nous a souvent paru. Il est beaucoup moins douteux encore que sa réputation d’esprit n’eût pu que gagner à la publication de ses lettres, et que les scrupules de madame de Simiane nous ont privés de beaucoup de pages fort bien écrites. Le mérite qu’avait madame de Grignan, comme écrivain, n’est pas seulement mille fois attesté par sa mère, si bon juge, mais dont l’admiration pourrait être soupçonnée ici de quelque prévention ; nous avons, pour en juger directement, quelques débris de sa correspondance. Un plus grand nombre de lettres pourrait sans doute montrer d’autres qualités d’esprit : on remarque surtout, dans celles que l’on a, une diction pure et juste, une noble élégance. Il est facile de reconnaître qu’elle a été à une excellente école. Avait-elle cependant dérobé tous ses agréments à celle qui l’avait si bien instruite par ses leçons et par ses exemples ? Non sans doute. Madame de Sévigné avait bien pu lui communiquer tous ses secrets de bon goût, de bon ton et de bon langage ; mais la nature, qui en de certaines choses est la seule maîtresse, n’avait donné à madame de Grignan ni la riche imagination de sa mère, ni sa vive sensibilité, ni ses grâces enjouées, ni son aimable abandon. Madame de Sévigné se montrait toujours charmée des lettres de sa fille : elle y trouvait des endroits incomparables, divins ; elle les déclarait dignes de l’impression et en montrait avec orgueil des passages à ses amis. On en pourrait cependant deviner les défauts dans les éloges mêmes qu’elle en faisait. « Vous écrivez extrèmement bien, lui disait-elle, personne n’écrit mieux : ne quittez jamais le naturel[1]… Il y a quelquefois dans vos lettres des endroits qui sont très-plaisants ; mais il vous échappe des périodes comme dans

  1. Lettre du 18 février 1671.