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NOTICE BIOGRAPHIQUE


Tacite[1]… Je fus surprise moi-même de la justesse de vos périodes ; elles sont quelquefois harmonieuses : votre style est devenu comme on peut le souhaiter ; il est fait et parfait ; vous n’avez qu’à continuer et vous bien garder de vouloir le rendre meilleur[2]… Gardez-vous bien de toucher à vos lettres, vous en feriez des pièces d’éloquence[3]… C’est une harmonie que l’arrangement de tous les mots qui composent votre dernière lettre[4]. » Il nous semble que ces belles périodes, ce parfait arrangement des mots, tous ces mérites qu’on ne s’étonnerait pas d’entendre louer chez un Isocrate ou chez un Fléchier, donnent l’idée d’une composition un peu plus étudiée qu’il ne conviendrait à des lettres ; et le conseil souvent répété de ne point quitter le naturel, de ne pas chercher à trop bien faire, ne paraît point superflu.

Nous avons, il est vrai, entendu quelquefois refuser à madame de Sévigné elle-même ce naturel et cet abandon, que les meilleurs juges cependant ont de tout temps loués en elle. On ne veut pas que sa plume ait toujours eu, suivant son expression, la bride sur le cou. C’était, dit-on, avec l’espérance d’être un jour imprimée, c’était en vue de la postérité qu’elle écrivait, et même (Dieu pardonne aux blasphémateurs !) qu’elle exprimait avec tant d’éloquence son touchant amour maternel. À cette dernière accusation, il ne faut répondre que par ce mot d’une mère qu’on avait outragée : « J’en appelle aux mères. » Ce qui vient du cœur ne se juge qu’avec le cœur. Mais il y a aussi, dans les lettres de madame de Sévigné, la part de l’esprit. Là seulement on peut admettre la discussion sur la spontanéité de son talent ; et toutefois, nous demandons pardon, si même sur ce point où nous reconnaissons les droits de la critique, nous sommes, tant ici encore l’évidence nous frappe, à peu près aussi tranchant que sur l’autre, et si nous nous contentons de dire à ceux qui ne trouvent pas madame de Sévigné assez naturelle, ce qu’elle disait elle-même à ceux qui n’entraient pas dans le charme et dans la facilité de la Fontaine : « Cette porte leur est fermée et la nôtre aussi. » Il y avait certainement, nous l’avons reconnu déjà, un grand art,

  1. Lettre du 6 mai 1672.
  2. Lettre du 23 mai 1672.
  3. Lettre du 6 juin 1672.
  4. Lettre du 25 décembre 1675.