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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


un art consommé, dans les lettres de madame de Sévigné, mais non pas un art laborieux, ni calculé, ni qui cherchât à se montrer. Son art était uniquement celui qui devient une seconde nature chez un esprit non moins cultivé qu’heureusement doué. Aussi, avec tant de finesse ingénieuse et un si brillant coloris, nulle recherche cependant, nulle manière. Que d’élévation quelquefois et quelle éloquence ! mais sans aucune ambition, mais avec tant d’à-propos, de justesse et de mesure, qu’il n’y a jamais de dissonances, de disparates, et que nous ne nous apercevons même pas du moment où le style monte sans effort au-dessus du ton familier. Nulle part la perfection de la langue, chez madame de Sévigné, n’est du purisme. Sa plume court avec la facilité et la rapidité sans lesquelles il n’y a point de lettres bien écrites, ou, pour mieux dire, de lettres qui ne soient trop bien écrites. Les aimables négligences de son style, que jusqu’ici ses éditeurs lui avaient rendu le mauvais service de châtier, se montreront mieux dans cette nouvelle édition que dans toutes les précédentes ; car cette fois on n’a pas fait la faute de corriger Titien, comme disait Bussy ; et toutes les fois qu’on a eu sous les yeux le texte authentique, le texte des autographes ou celui des plus anciennes copies, on l’a scrupuleusement respecté et rétabli. Cette religieuse exactitude des éditeurs est, en pareil cas, la seule conduite qui nous paraisse dictée par le devoir comme par le bon goût. Nous avons entendu dire que madame de Sévigné elle-même se serait corrigée, si elle avait pu savoir qu’elle serait imprimée. Il est heureux alors qu’elle ne l’ait pas su. Nous sommes charmé, au reste, que ceux qui croient pouvoir défendre par cet argument la hardiesse sacrilège des correcteurs, soient convaincus comme nous que madame de Sévigné ne songea point, quoi qu’on en ait dit, à l’impression ni à la postérité. Elle avait sans doute conscience de l’agrément de ses lettres, elle aimait à y déployer son esprit, elle pouvait même être animée dans cette conversation écrite, comme elle l’eût été dans un cercle, par le plaisir que trouvent les spirituels causeurs à charmer ceux qui les écoutent et à recevoir leurs applaudissements. Accordons aussi qu’elle n’ignorait pas que quelques-unes de ses lettres, certains passages de quelques autres, étaient montrés à des amis et même circulaient dans le beau monde. Mais