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1669

92. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le même jour que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 12e janvier 1669[1].

Je vous fais justice comme vous me la faites, ma belle cousine. Je vous ai écrit, et vous n’avez pas reçu ma lettre : tout cela est vrai.

Au reste, je vous suis fort obligé de l’inquiétude que vous avez eue de m’avoir tué sans y songer, et je vous apprends que vous êtes plus adroite que vous ne pensez. Quand vous m’eûtes donné la vie, vous baissâtes la pointe de votre épée, et je me relevai le plus content du monde de votre générosité. Ce n’est pas que s’il en fut arrivé autrement, j’eusse été le premier que vous eussiez fait mourir sans dessein. Quoique vous vous serviez encore moins de vos yeux que de votre épée, il y a des gens si maladroits qu’ils se sont enferrés d’eux-mêmes, et nous en savons à qui vous avez percé le cœur, sans songer quasi qu’ils fussent au monde.

Mais ne vous lasserez-vous jamais de me parler de ce que j’ai fait contre vous ? Croyez-vous qu’il me soit fort agréable de me ressouvenir d’un si vilain endroit de ma vie ? Non assurément, ma chère cousine ; mais il m’est encore bien plus rude de voir que vous vous en ressouveniez si souvent.

Pour vous répondre sur les souscriptions de vos portraits, je vous dirai, avec ma sincérité ordinaire, qu’il y a eu un temps où je n’eusse cru parler qu’en contre-vérité

  1. Lettre 92. — i. Cette lettre est datée dans les deux manuscrits du 12 janvier, et non du 22 comme dans l’édition de 1697 et dans toutes les impressions antérieures à la nôtre. Les mots écrits en tête par Bussy confirment la date du 12.