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SUR L’ART POÉTIQUE D’HORACE.

conséquent c’est de la difficulté des premiers que ce passage doit s’entendre. Le mot de « caractère », pour dire cela en passant, ne regarde pas seulement les qualités du personnage : il a plus d’étendue, car il renferme aussi le sujet, dont le caractère est le fondement, puisqu’il comprend les mœurs, et que les mœurs sont la source des actions, unique but de l’imitation dramatique, la tragédie n’imitant que les actions et non pas les mœurs. Elle se sert des mœurs, parce que les actions ne sauroient être sans les mœurs, et qu’elles en dépendent. Voilà pourquoi Horace appelle cela proprie dicere, quoiqu’il parle des caractères ; car les caractères renferment le sujet. Horace poursuit :

Tuque
Rectius Iliacum carmen deducis in actus[1].

A la lettre : « Et vous ferez mieux de tirer d’Homère le sujet de vos tragédies. »

Cela se suit naturellement, sans effort, et sans qu’on soit obligé de rien substituer pour remplir le vide. « Les caractères nouveaux sont difficiles ; il faut donc les éviter, et avoir recours aux caractères connus, et par conséquent vous ferez mieux de les prendre dans Homère. » Quel raisonnement seroit-ce : « Les caractères rebattus sont difficiles, et vous ferez mieux de prendre dans Homère des caractères rebattus ? » Mais suivons pas à pas M. de S***, et accordons-lui pour un moment que communia signifie ici des sujets connus et mille fois rebattus. « Horace, dit-il, veut enseigner comment on peut atteindre à la perfection, quelque difficulté qu’on y puisse rencontrer. Il est vrai, dit Horace, qu’il est difficile de traiter ces sujets connus d’une manière nouvelle, mais ce sont des coups de maître il exhorte à surmonter ces difficultés, en montrant aux poëtes ce qui est excellent, après leur avoir enseigné ce qui est bon. »

Que je suis fâché que ces lignes soient si opposées à la doctrine d’Aristote et aux préceptes d’Horace !

Il faut se souvenir que ce poète parle à des jeunes gens qui n’avoient encore rien fait. Quelle apparence donc que si les sujets connus sont les plus difficiles, il veuille les porter tout d’un coup à ce qu’il y a de plus grand, malgré les difficultés qui s’y rencontrent ? N’y a-t-il pas plus de raison à croire qu’il veut les éloigner d’un dessein si périlleux ? Et cela ne s’accorde-t-il pas mieux avec le précepte qu’il leur a donné auparavant ?

Sumite materiam vestris, qui scribitis, æquam

  1. Vers 128 et 129.