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et surtout M. le Camus[1] vous adore ; et moi, ma pauvre bonne, que pensez-vous que je fasse ? Vous aimer, penser à vous, m’attendrir à tout moment plus que je ne voudrois, m’occuper de vos affaires, m’inquiéter de ce que vous pensez ; sentir vos ennuis et vos peines, les vouloir souffrir pour vous, s’il étoit possible ; écumer votre cœur, comme j’écumois votre chambre des fâcheux dont je la voyois remplie ; en un mot, ma bonne, comprendre vivement ce que c’est d’aimer quelqu’un plus que soi-même : voilà comme je suis. C’est une chose qu’on dit souvent en l’air ; on abuse de cette expression. Moi je la répète, et sans la profaner jamais, je la sens tout entière en moi, et cela est vrai.

Je reçois, ma bonne, votre grande et très-aimable lettre du 24e. M. de Grignan est plaisant de croire qu’on ne les lit qu’avec peine ; il se fait tort. Veut-il que nous croyions qu’il n’a pas toujours lu les vôtres avec transport ? Si cela n’étoit pas, il en étoit bien indigne. Pour moi, je les aime jusqu’à la folie ; je les lis et les relis ; elles me réjouissent le cœur ; elles me font pleurer ; elles sont écrites à ma fantaisie. Une seule chose ne va pas bien : il n’y a pas de raison à toutes les louanges que vous me donnez ; il n’y en a point aussi à la longueur de cette lettre ; il faut la finir, et mettre des bornes à ce qui n’en auroit point, si je me croyois. Adieu, ma très-aimable bonne, comptez bien sur ma tendresse, qui ne finira jamais.


  1. 16. Il y avait trois frères de ce nom : Nicolas le Camus, procureur général et, en 1672, premier président de la cour des aides ; le cardinal le Camus, évêque de Grenoble ; et Jean le Camus, lieutenant civil au Châtelet de Paris. C’est du premier ou du dernier qu’il est ici question ; plus vraisemblablement du premier : voyez les lettres du 5 janvier 1672 et du 17 novembre 1673.