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moi quand vous serez ici. Qu’y a-t-il de si terrible à ces paroles : Mes journées sont remplies ? Il est vrai que Bayard[1] est ici, et qu’il fait mes affaires ; mais quand il a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je ? Encore faut-il lui parler. Quand j’ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. de la Rochefoucauld, que je n’ai point vu de tout le jour : écrirai-je ? M. de la Rochefoucauld et Gourville sont ici : écrirai-je ? — Mais quand ils sont sortis ? — Ah ! quand ils sont sortis, il est onze heures, et je sors, moi ; je couche chez nos voisins, à cause qu’on bâtit devant mes fenêtres. — Mais l’après-dînée ? — J’ai mal à la tête. — Mais le matin ? — J’y ai mal encore, et je prends des bouillons d’herbes qui m’enivrent. Vous êtes en Provence, ma belle : vos heures sont libres, et votre tête encore plus ; le goût d’écrire vous dure encore pour tout le monde ; il m’est passé pour tout le monde ; et si j’avois un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point notre amitié sur l’écriture ; je vous aimerai autant en ne vous écrivant qu’une page en un mois, que vous en m’en écrivant dix en huit jours. Quand je suis à Saint-Maur[2], je puis écrire, parce que j’ai plus de tête et plus de loisir ; mais je n’ai pas

  1. Lettre 323. — 1. Voyez la note 1 de la lettre 316.
  2. 2. Le prince de Condé prêtait à Gourville la capitainerie de Saint-Maur ; Mme de la Fayette témoigna le désir d’y passer quelques jours. Le château n’avait qu’un appartement, qu’elle occupa ; elle donna une chambre à la Rochefoucauld, de sorte qu’il n’en resta qu’une petite pour Gourville. Mme de la Fayette continua d’aller à Saint-Maur pendant plusieurs années. Gourville se plaignit d’être expulsé de chez lui ; Mme de la Fayette soutenoit qu’il étoit très-heureux de trouver bonne compagnie à Saint-Maur ; enfin il fut obligé de faire avec Monsieur le Prince un traité par écrit ; et Mme de la Fayette en prit pour lui de la froideur, qu’elle fit partager au duc de la Rochefoucauld. Voyez les Mémoires de Gourville, tome LII, p. 454 et suivantes.