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Écrivez-moi le plus que vous pourrez, et surtout de Monaco. Je suis fort bien avec le comte de Guiche ; je l’ai vu plusieurs fois chez M. de la Rochefoucauld et à l’hôtel de Sully[1] ; il m’attaque toujours, il s’imagine que j’ai de l’esprit ; nous avons fort causé. Il m’a conté à quel point sa sœur[2] est estropiée de cette saignée : cela fait peur et pitié. Je ne l’ai jamais vu avec sa Chimène[3] ; ils sont tellement sophistiqués tous deux, qu’on ne croit rien de grossier à leur amour ; et l’on croit qu’ils ont chacun leur raison d’être honnêtes.

Il y a deux mois que la Marans n’a vu son fils[4] ; il n’a pas si bonne opinion d’elle ; voici ce qu’elle disoit l’autre jour ; vous savez que ses dits sont remarquables : « Que pour elle, elle aimeroit mieux mourir que de faire des faveurs à un homme qu’elle aimeroit ; mais que si jamais elle en trouvoit un qui l’aimât et qui ne fùt point haïssable, pourvu qu’elle ne l’aimât point, elle, elle se mettroit en œuvre. » Son fils a recueilli cet honnête discours, et en fait bien son profit pour juger de ses occupations. Il lui disoit : « Ma mère, je vous approuve d’autant plus que cette distinction est délicate et nouvelle. Jusques ici je n’avois trouvé que des âmes grossières, qui ne faisoient qu’une personne de ces deux, et qui confondoient l’aimé et le favorisé ; mais, ma mère, il vous appartenoit de changer ces vieilles maximes, qui n’ont rien de précieux en comparaison de celles que vous allez introduire. » Il fait bon l’entendre là-dessus. Depuis ce jour-là il l’a perdue de vue, et tire ses conséquences sans aucune difficulté.

  1. 3. Voyez la lettre du 23 février 1680.
  2. 4. Mme de Monaco.
  3. 5. Mme de Brissac.
  4. 6. La Rochefoucauld. Voyez la note 5 de la lettre 151.