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1675

413. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 3e juillet.

Mon Dieu, ma chère fille, que je m’accoutume peu à votre absence ! J’ai quelquefois de si cruels moments, quand je considère comme nous voilà placées, que je ne puis respirer ; et quelque soin que je prenne de détourner cette idée, elle revient toujours. Je demande pardon à votre philosophie[1] ; mais une fois entre mille, ne soyez point fâchée que je me donne le soulagement de vous dire ce que je souffre si souvent sans en rien dire à personne. Il est vrai que la Bretagne nous va encore éloigner ; c’est une rage : il semble que nous voulions nous aller jeter chacune dans la mer, et laisser toute la France entre nous deux. Dieu nous bénisse !

J’ai reçu une lettre il y a deux jours du cardinal de Retz, qui est à la veille d’entrer dans sa solitude ; je crois qu’elle ne lui ôtera de longtemps l’amitié qu’il a pour vous. Je suis plus que satisfaite, en mon particulier, de celle qu’il me témoigne.

Je vous vois user de votre autorité pour faire prendre médecine à votre fils : je crois que vous faites fort bien. Ce n’est pas un rôle qui vous convienne mal que celui du commandement ; mais vous êtes heureuse que votre enfant ne vous ait jamais vue avaler une médecine : votre exemple détruiroit vos raisonnements. Je songe à votre frère : vous souvient-il comme il vous contrefaisoit ? Je suis ravie que ce petit marquis soit guéri : vous vous servirez du pouvoir que vous avez sur lui pour le conduire ;


  1. Lettre 413 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Je demande pardon à votre philosophie de vous faire voir tant de foiblesse ; mais une fois, etc. » (Édition de 1754.)