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1675 il me conta toute la querelle du pape et de l’ambassadeur ; [1] il me fit voir le cardinalat du Marseille [2] fort éloigné ; et enfin, après avoir bien discouru et de Portugal, et de Savoie, et d’agent cosa [3], il voulut voir votre portrait : [4] il est romain, il s’y connoît ; je voudrois que vous et M. de Grignan eussiez pu voir l’admiration naturelle dont il fut surpris, quelles louanges il donna à la ressemblance, mais encore plus à la bonté de la peinture, à cette tête qui sort, à cette gorge qui respire, à cette taille qui s’avance : il fut une demi-heure comme un fou. Je lui parlai de celui de la Saint-Géran ; il l’a vu. Je lui dis que je le croyois mieux peint ; il me pensa battre ; il m’appela ignorante, et femme, qui est encore pis. Il appelle des traits de maître ces endroits qui me paroissoient grossiers c’est ce qui fait le blanc, le lustre, la chair, et sortir la tête de la toile. Enfin, ma fille, vous auriez ri de sa manière d’admirer. Il en a fait tant de bruit, que M. de Louvigny vint hier me voir ; mais en effet c’étoit votre aimable portrait [5] ; il en fut charmé. Je voudrois bien le porter avec moi. Ah que je disois vrai l’autre jour, quand je vous assurois que quelqu’un qui m’aimeroit devroit être content d’être aimé comme j’aime cette aimable copie !

Je crains que Monsieur le Prince ne soit malade : je crois l’avoir ouï dire. Nous sommes bien loin de faire repasser le Rhin à Montecuculi, c’est lui qui nous presse un

  1. Il s’agisait des premières discussions sur l’affaire des franchises. — Le pape était Clémént X, qui regna de 1670 à 1676 ; et l’ambassadeur le duc d’Estrées (voyez tome II, p. 511, note 3).
  2. L’évêque de Marseille ne fut cardinal qu’en 1690.
  3. De toute chose.
  4. Il avait été peint par Mignard. Voyez la lettre du 19 août précédent, p. 70, et Walckenaer, tome V, p. 454.
  5. Dans l’édition de 1754 : « Mais en effet c’étoit votre portrait qu’il venoit voir. »