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1675de prendre des bateliers à Orléans, comme à Chartres d’acheter des chapelets[1].

Je vous ai mandé comme j’avois vu l’abbé d’Effiat dans sa belle maison : je vous écrivis de Tours ; je vins à Saumur, où nous vîmes Vineuil[2] ; nous repleurâmes M. de Turenne ; il en a été vivement touché ; vous le plaindrez, quand vous saurez qu’il est dans une ville où personne n’avoit vu le héros. Vineuil est bien vieilli, bien toussant, et bien crachant, et dévot, mais toujours de l’esprit : il vous fait mille et mille compliments. Il y a trente lieues de Saumur à Nantes ; nous avons résolu de les faire en deux jours, et d’arriver aujourd’hui à Nantes : dans ce dessein, nous allâmes hier deux heures de nuit ; nous nous engravâmes, et nous demeurâmes à deux cents pas de notre hôtellerie sans pouvoir aborder. Nous revînmes au bruit d’un chien, et nous arrivâmes à minuit dans un tugurio[3], plus pauvre, plus misérable qu’on ne peut vous le représenter : il n’y avoit rien du tout que deux ou trois vieilles femmes qui filoient, et de la paille fraîche, sur quoi nous avons tous couché sans nous déshabiller. J’aurois bien ri, sans l’abbé, que je meurs de honte d’exposer ainsi à la fatigue d’un voyage. Nous nous sommes rembarqués avec la pointe du jour, et nous étions si parfaitement bien établis dans notre gravier, que nous avons été près d’une heure avant que de reprendre le fil de notre discours. Nous voulons, contre vent et marée, arriver à Nantes ; nous ramons tous. J’y trouverai de vos lettres, ma fille ; mais j’ai si bonne opinion de votre amitié, que je suis persuadée que vous serez bien aise de savoir des nouvelles de mon voyage, et

  1. La cathédrale de Chartres était un pèlerinage célèbre. ; on y révérait une ancienne statue de la Vierge.
  2. Voyez plus bas, p. 170, note 6, et p. 188.
  3. Une cabane.