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éloignement, que pensez-vous que tout cela fasse entre chien et loup ? J’ai ces vers dans la tête :
Sous quel astre cruel avez-vous mis au jour
L’objet infortuné d’une si tendre amour[1]?
Il faut regarder la volonté de Dieu bien fixement, pour envisager sans désespoir tout ce que je vois, dont assurément je ne vous entretiens pas.

Ne soyez point en peine de l’absence d’Hélène : Marie me fait fort bien ; je ne m’impatiente point. Ma santé est comme il y a six ans : je ne sais d’où me revient cette fontaine de Jouvence ; mon tempérament fait précisément ce qui m’est nécessaire. Je lis et je m’amuse ; j’ai des affaires que je fais devant l’abbé, comme s’il étoit derrière la tapisserie ; tout cela, avec cette jolie espérance, empêche, comme vous dites, que l’on ne fasse la dépense d’une corde pour se pendre. Je trouvai l’autre jour une lettre de vous, où vous m’appelez ma bonne maman ; vous aviez dix ans[2], vous étiez à Sainte-Marie, et vous me contiez la culbute de Mme Amelot, qui de la salle se trouva dans une cave. Il y a déjà du bon style à cette lettre. J’en ai trouvé mille autres qu’on écrivoit autrefois à Mlle de Sévigné : toutes ces circonstances sont heureuses pour me faire souvenir de vous ; car sans cela où pourrois-je prendre cette idée ? Je n’ai point reçu de vos lettres le dernier ordinaire, j’en suis toute triste. Je ne sais non plus de nouvelles du Coadjuteur, de la Garde, du Mirepoix, du Bellièvre, que si tout étoit fondu ; je m’en vais un peu les réveiller.

  1. Ce sont deux vers de l’Iphigénie en Aulide (acte V, scène iii), qui avait été représentée et publiée en 1674. Mme de Sévigné cite de mémoire ; dans Racine, le second vers commence ainsi :
    Le malheureux objet, etc.
  2. Voyez la Notice, p. 89.