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1675J’ai regret à tous mes jours qui s’en vont, et qui m’entraînent sans que j’aie le temps d’être avec vous ; je regrette ma vie, et je sens pourtant que je la quitterois avec moins de peine, puisque tout est si mal rangé pour me la rendre agréable. Dans ces pensées, ma très-chère, on pleure quelquefois sans vous le dire, et je mériterai vos sermons malgré moi, plus souvent que je ne le voudrai ; car ce n’est jamais volontairement que je me trouve[1] dans ces tristes méditations : elles se trouvent tout naturellement dans mon cœur, et je n’ai pas l’esprit de m’en tirer. Ma chère fille, je suis au désespoir de n’avoir pas été maîtresse aujourd’hui d’un sentiment si vif ; je n’ai pas accoutumé de m’y abandonner : parlons d’autre chose.

C’est un de mes tristes amusements de penser à la différence de l’année passée et de celle-ci : quelle compagnie les soirs ! quelle joie de vous voir, et de vous rencontrer, et de vous parler à toute heure ! que de retours agréables pour moi ! Rien ne m’échappe de ces heureux jours, que les jours mêmes qui sont échappés. Je n’ai pas le déplaisir de n’avoir pas senti cet heureux état : c’est un reproche que je ne me ferai jamais ; mais par la même raison, je sens bien le contraire.

Vous ne me parlez point de Monseigneur[2] et si vous avez été assez bien traités, pour ne donner au Roi que le don ordinaire ; on augmente le nôtre[3] ; je pensai battre le

  1. « Que je me jette. » (Édition de 1754.)
  2. Le comte de Grignan.
  3. En 1675, l’assemblée de Provence, ouverte le 23 octobre et close le 20 novembre, vota la somme de cinq cent mille livres, qui lui était demandée pour le don gratuit. Voyez Walckenaer, tome V, p. 330. — « L’assise des états de Bretagne s’ouvrit cette année le 9 novembre (le 8, d’après la Gazette du 16), dans la salle des Jacobins de Dinan ; elle fut close le 12 décembre (ailleurs il est dit le 15). Les trois millions demandés au nom du Roi et les gratifications au duc de Chaulnes, au marquis de Lavardin et à l’évêque de Saint-Malo (président de l’Église), etc., furent accordés sans difficulté ( « par une seule délibération et sur un consentement unanime, » dit la Gazette). Cependant, malgré là terreur qui pesait sur les états, ils osèrent envoyer des commissaires au Roi, pour s’opposer à ce qu’on mît en Bretagne des troupes en quartier d’hiver : ils représentèrent que c’était une mesure illégale et contraire aux droits et aux franchises de la province. » (Walckenaer, tome V, p. 180.) — La Gazette du 16 attribue la nomination des députés à de tout autres motifs. Voyez la lettre du 17 novembre suivant, p. 238, note 14.