Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/296

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1675 sur rien, car elle est admirable quand elle a la bride sur le cou ; elle est comme l’Arioste : on aime ce qui finit et ce qui commence ; le sujet que vous prenez console de celui que vous quittez, et tout est agréable. Celui du froc aux orties, que l’on jette tout doucement pour plaire à Sa Sainteté, et le reste, est une chose à mourir de rire ; mais ne le dites point à M. de Grignan qui est sage : pour moi, j’en demande pardon à Dieu, mais je ne crois pas qu’il y ait rien au monde de plus plaisant ni de mieux écrit ; vous êtes plus gaie dans vos lettres que vous ne l’êtes ailleurs. Vous avez soif d’être seule : eh mon Dieu, ma chère, venez dans nos bois ; c’est une solitude parfaite, et un si beau temps encore, que j’y passe tous les jours jusques à la nuit, et je pense à vous mille et dix mille fois avec une si grande tendresse, que ce seroit lui faire tort que de croire que je la puisse écrire. Mon fils me met en furie par le sot livre qu’il vient lire autour de moi ; c’est Pharamond[1] : il me détourne de mes livres sérieux, et sous prétexte que je me fais mal aux yeux, il me faut écouter des sornettes que je veux oublier. Vous savez comme faisoit Mme du Plessis à Fresnes, c’est justement de même : il va et vient ; il songe fort à m’amuser et à me divertir. Il vouloit vous écrire aujourd’hui ; mais je doute qu’il le puisse faire : nous ne sommes pas chez nous, et pendant que je suis ici, il joue à l’hombre dans la chambre de la princesse, qui me parle de vous avec une estime et une inclination admirable pour toute votre personne.

Si j’étois en lieu, ma fille, de vous donner des conseils, je vous donnerois celui de ne pas penser présentement d’aller à Grignan : à quel propos ce voyage ? C’est une

  1. Roman de la Calprenède. (Note de Perrin.) — Ce roman parut en 1646 ; mais la Calprenède n’en avait encore donné que sept volumes lorsqu’il mourut en 1663. Pharamond a été achevé en cinq volumes par Vaumorière.