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1675Je vous trouve bien hardie d’assembler vos lettres provençales ; et qu’en voulez-vous faire, bon Dieu ?

On nous fait espérer le départ de Figuriborum[1] ; je ne dis pas la paix, car vous ne voulez pas croire qu’un traité puisse être signé par lui[2]. Que vous êtes plaisante de vous souvenir de ce temps si différent de celui-ci ! Eussions-nous jamais cru que Figuriborum eùt fait une figure ? Jamais homme n’a été saboulé[3] comme lui. Il faut avouer que vous êtes la première personne du monde. Il y a un petit homme[4] qui s’est vanté de s’être soustrait à votre saboulage ; vous aviez assez d’envie de lui marcher sur le haut de la tête ; mais n’avez-vous point peur d’être excommuniée ?

Le petit frater est encore à Rennes : il aura trouvé là quelque amusette ; il seroit tout prêt à faire et à nier encore un adieu à la Cadmus[5]. Il n’aime plus cette belle,

  1. C’est Charles-Colbert, marquis de Croissy, que Mme de Sévigné désigne par ce sobriquet. Voyez tome II, p. 396, note 12.
  2. Voici ce que rapporte la Gazette dans son dernier numéro de 1675, sous la rubrique de Paris, le 28 décembre : « Le sieur Colbert et le comte d’Avaux, ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires du Roi pour le traité de paix à Nimègue, partiront d’ici ce jour-là (le 26) pour se rendre incessamment en ladite ville de Nimègue, en conséquence des ordres pressants qu’ils ont reçus de Sa Majesté. Le duc de Vitry, dont la santé se rétablit tous les jours, sera en état de partir en très-peu de temps. »
  3. L’édition de la Haye donne saboté ; celle de Rouen ridiculisé. Le mot saboulage, qui se trouve trois lignes plus loin (et que l’impression de Rouen remplace par plaisanterie), indique, ce nous semble, que le vrai texte est saboulé. Voyez la Comtesse d’Escarbagnas, scène III : « Ôtez-moi mes coiffes. Doucement donc, maladroite ; comme vous me saboulez la tête avec vos mains pesantes ! »
  4. Le petit homme ne serait-il pas Antoine Godeau, évêque de Grasse et de Vence, appelé le nain de Julie ? Il étoit très-petit et très-laid : voyez Tallemant, tome III, p. 231. Mme de Grignan n’avait plus rien à craindre des plaisanteries qu’elle se permettait sur lui : Godeau était mort en 1672.
  5. Allusion aux adieux de Cadmus à Hermione dans l’opéra de Cadmus (acte II, scène iv). Une parodie de ces adieux venait d’être faite en 1673, à l’occasion de Dangeau qui quittait Ninon pour aller en Angleterre acquitter une dette d’honneur. Voyez Tallemant des Réaux, tome VI, p. 22 et suivantes.