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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/332

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489. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 8e janvier.

Voici le jour de vous conter mon songe. Vous saurez que vers les huit heures du matin, après avoir songé à vous la nuit, sans ordre et sans mesure, il me sembla bien plus fortement qu’à l’ordinaire que nous étions ensemble, et que vous étiez si douce, si aimable et si caressante pour moi, que j’en étois toute transportée de tendresse ; et sur cela je m’éveille, mais si triste et si oppressée d’avoir perdu cette chère idée, que me voilà à soupirer et à pleurer d’une manière si immodérée, que je fus contrainte d’appeler Marie, et avec de l’eau froide et de l’eau de la reine d’Hongrie, je m’ôtai le reste de mon sommeil, et je débarrassai ma tête et mon cœur de l’horrible oppression que j’avois. Cela me dura un quart d’heure, et tout ce que je vous en puis dire, c’est que jamais je ne m’étois trouvée dans un tel état. Vous remarquerez que voici le jour où ma plume est la maîtresse[1].

Vous avez passé quinze jours bien tristement à Lambesc : on en plaindroit une autre que vous, ma bonne mais vous avez un tel goût pour la solitude qu’il faut compter ce temps comme le carnaval. Que dites-vous de la Saint-Géran, qui vient de partir avec son gros mari, pour aller passer le sien à la Palisse[2] ? c’est un voyage d’un mois, qui surprend tout le monde dans cette saison. Elle reviendra bien assurément pour les sermons mais voyez quelle fatigue pour ne pas quitter ce cher époux.

  1. LETTRE 489 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — Voyez la lettre précédente, p. 322.
  2. La Palisse est un château gothique que l’on trouve après Moulins, sur la route de Lyon à Paris. (Note de l’édition de 1818.) — Voyez l’Itinéraire de Paris à Lyon, de M. Joanne, p. 110.