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qui est irréparable. » Et sans faire aucune attention sur lui, se met à crier et à pleurer cette grande perte. M. de la Rochefoucauld pleure lui-même, en admirant la noblesse de ce sentiment.

Le gentilhomme de M. de Turenne, qui étoit retourné et qui est revenu, dit qu’il a vu faire des actions héroïques au chevalier de Grignan : il a été jusqu’à cinq fois à la charge, et sa cavalerie a si bien repoussé les ennemis, que ce fut cette vigueur extraordinaire qui décida du combat. Le Boufflers a fort bien fait aussi, et le duc de Sault[1] et surtout M. de Lorges, qui parut neveu du héros en cette occasion ; mais le gentilhomme avoit tellement le chevalier de Grignan dans la tête qu’il ne pouvoit s’en taire : n’admirez-vous point qu’il n’ait pas été blessé, à se mêler comme il a fait, et essuyer tant de fois le feu des ennemis ? Le duc de Villeroi ne se peut consoler de M. de Turenne ; il croit que la fortune ne peut plus lui faire de mal, après lui avoir fait celui de lui ôter M. de Turenne et le plaisir d’être aimé et estimé d’un tel homme[2]. Il avoit rhabillé à ses dépens tout un régiment anglois[3], et l’on

  1. . Le 30 juillet, à huit heures du matin, les ennemis attaquèrent notre arrière-garde, « où le chevalier de Boufflers, dit la Gazette (p. 617), les soutint d’abord, et les poussa ensuite avec nos dragons et cent cinquante mousquetaires d’Hamilton, qu’il posta dans les lieux où la cavalerie ne pouvoit agir. » Le duc de Sault est nommé, dans la relation de la Gazette, parmi les maréchaux de camp qui « coururent à la tête de tout pour mieux connoître les desseins des ennemis. » L’infanterie combattit très-vigoureusement sous ses ordres et sous ceux du chevalier du Plessis.
  2. Voyez la lettre du 12 août suivant, p. 45.
  3. C’était le régiment de Monmouth, dont les capitaines, après avoir reçu l’argent du Roi, n’étaient pas revenus en France. M. de Turenne s’engagea personnellement pour la somme de quinze mille livres ; il avait payé six mille livres à compte. (Lettres militaires, tome III, p. 226.)