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1676douloureusement de la passer sans vous. Il semble qu’on en ait une autre, où l’on réserve de se voir et de jouir de sa tendresse ; et cependant, c’est notre tout que notre présent, et nous le dissipons ; et l’on trouve la mort : je suis touchée de cette pensée. Vous jugez bien que je ne desire donc que d’être avec vous. Cependant nous trouvâmes qu’il falloit vous mander que vous prissiez un peu vos mesures chez vous. Si la dépense de ce voyage empêchoit celui de cet hiver, je ne le voudrois pas, et j’aimerois mieux vous voir plus longtemps ; car je n’espère point d’aller à Grignan, quelque envie que j’en aie ; le bon abbé ne veut point y aller, il a mille affaires ici, et craint le climat. Je n’ai point trouvé dans mon traité de l’ingratitude[1] que je le puisse quitter dans l’âge où il est ; et ne pouvant douter que cette séparation ne lui arrachât le cœur et l’âme, s’il mouroit dans cette absence, mes remords ne me donneroient aucun repos : ce seroit donc pour trois semaines que nous nous ôterions le moyen de nous voir plus longtemps. Démêlez cela dans votre esprit, suivant vos desseins et vos affaires ; et songez qu’en quelque temps que ce soit, vous devez à mon amitié, et à l’état où j’ai été, la sensible consolation de vous voir. Si vous vouliez revenir ici avec moi de Bourbon, cela seroit admirable : nous passerions notre automne ici ou à Livry et cet hiver M. de Grignan viendroit vous voir et vous reprendre. Voilà qui seroit le plus aisé, le plus naturel et le plus agréable pour moi ; car enfin vous devez me donner un peu de votre temps pour la consolation de ma vie. Rangez tout cela dans votre tête, ma chère enfant ; car il n’y a point de temps à perdre : je partirai dans le mois qui vient pour Bourbon ou pour Vichy.

  1. Voyez tome II, p. 159, note 5.