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1676notre vie si loin l’une de l’autre, quand notre amitié nous approche[1] si tendrement !

Mercredi 20e mai.

J’ai donc pris des eaux ce matin, ma très-chère ; ah, qu’elles sont méchantes ! J’ai été prendre le chanoine, qui ne loge point avec Mme de Brissac. On va à six heures à la fontaine : tout le monde s’y trouve, on boit, et l’on fait une fort vilaine mine ; car imaginez-vous qu’elles sont bouillantes, et d’un goût de salpêtre fort désagréable. On tourne, on va, on vient, on se promène, on entend la messe, on rend les eaux, on parle confidemment de la manière qu’on les rend : il n’est question que de cela jusqu’à midi. Enfin, on dîne ; après dîner, on va chez quelqu’un : c’étoit aujourd’hui chez moi. Mme de Brissac a joué à l’hombre avec Saint-Hérem et Plancy ; le chanoine et moi nous lisons l’Arioste ; elle a l’italien dans la tête, elle me trouve bonne. Il est venu des demoiselles du pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection. C’est ici où les bohémiennes poussent[2] leurs agréments ; elles font des dégognades, où les curés trouvent un peu à redire[3] ; mais enfin, à

  1. Au lieu de nous approche, il y a nous en approche dans l’édition de 1754.
  2. Le manuscrit donne puisent, au lieu de poussent.
  3. Voici un passage de Fléchier très-curieux à rapprocher de la lettre de Mme de Sévigné : « On ne laissa pas de danser encore quelques bourrées et quelques goignades. Ce sont deux danses qui sont d’une même cadence, et qui ne sont différentes qu’en figures. La bourrée d’Auvergne est une danse gaie, figurée, agréable, où les départs, les rencontres et les mouvements font un très-bel effet et divertissent fort les spectateurs. Mais la goignade, sur le fond de gaieté de la bourrée, ajoute une broderie d’impudence, et l’on peut dire que c’est la danse du monde la plus dissolue. Elle se soutient par des pas qui paroissent fort déréglés et qui ne laissent pas d’être mesurés