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1676c’est mon unique plaisir, et je prends mon temps d’une manière qui ne me peut nuire. Ne me retranchez rien de tout ce qui vous regarde ; vous me dites des choses si tendres, si bonnes, si vraies, que je ne puis y répondre que par ce que je sens ; croyez-en au delà de tout ce que je vous en ai jamais dit. Je ne me repens point de ne vous avoir point laissée venir ici : mon cœur en souffre ; mais quand je pense à cette peine, pour huit ou dix jours de séjour, je trouve que je vous aime mieux cet hiver. Je suis si attachée à vous, et vous me tenez par tant d’endroits, que je sens plus que les autres la peine de la séparation : ainsi, ma très-chère, je me suis gouvernée selon mes foiblesses, et n’ai pas écouté l’envie et la joie que j’aurois eue de vous avoir. Je ne crois pas être dans dix jours ici. La duchesse[1] s’en va plus tôt, et le joli chanoine : elle s’en va chez Bayard, parce que j’y dois aller ; il s’en passeroit fort bien ; il y aura une petite troupe d’infelici amanti[2].

Ma fille, vous perdez trop : c’est cela que vous devriez regretter. Il faudroit voir comme on tire sur tout, sans distinction et sans choix. Je vis l’autre jour, de mes propres yeux, flamber un pauvre célestin[3] : jugez comme cela me paroît à moi, qui suis accoutumée à vous. Il y a ici des femmes fort jolies : elles dansèrent hier des bourrées du pays, qui sont en vérité les plus jolies du monde : il y a beaucoup de mouvement, et l’on se dégogne extrêmement[4] ; mais si on avoit à Versailles de ces sortes de danseuses en mascarades, on en seroit ravi par la nouveauté ; car cela passe encore.les Bohémiennes. Il y avoit un grand garçon déguisé en femme, qui me divertit fort ;

  1. De Brissac.
  2. D’amants malheureux.
  3. Voyez la lettre du 11 juin suivant, p. 486.
  4. Voyez, p. 456, la note 14 de la lettre du 19 mai précédent.— Dans l’édition de 1754 : « et les dégognades n’y sont pas épargnées. »