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1676disent qu’oui, et le mien se moquoit d’eux. Elle a pourtant de l’esprit très-bien avec ses folies et ses foiblesses ; elle a dit cinq ou six choses très-plaisantes. C’est la seule personne que j’aie vue, qui exerce sans contrainte la vertu de la libéralité : elle a deux mille cinq cents louis dont elle ne veut pas en remporter un ; elle donne, elle jette ; elle habille, elle nourrit les pauvres ; si on lui demande une pistole, elle en donne deux ; je n’avois fait qu’imaginer ce que je vois en elle. Il est vrai qu’elle a vingt-cinq mille écus de rente, et qu’à Paris elle n’en dépense pas dix. Voilà ce qui fonde sa magnificence ; et je trouve qu’elle doit être louée d’avoir la volonté avec le pouvoir car ces deux choses sont quasi toujours séparées.

La bonne d’Escars m’a fait souvenir de ce que j’avois dit à la duchesse de l’embrasement du célestin[1] ; elle en rit beaucoup ; et comme vous vous attendez toujours à quelque sincérité de moi dans ces occasions, la voici. Je lui dis : « Vraiment, Madame, vous avez tiré de bien près ce bon père ; vous aviez peur de le manquer. » Elle fit semblant de ne me pas entendre, et je lui dis comme j’avois vu brûler le bon célestin : elle le savoit bien, et ne se corrigera pas pour cela du plaisir de faire des meurtres.

Vendredi à midi.

Je viens de la fontaine, c’est-à-dire, à neuf heures, et j’ai rendu mes eaux : ainsi, ma très-aimable belle, ne soyez point fâchée que je fasse une légère réponse à votre lettre ; au nom de Dieu, fiez-vous à moi, et riez, riez sur ma parole ; je ris aussi quand je puis. Je suis troublée un peu de l’envie d’aller à Grignan, où je n’irai pas. Vous

  1. C’est la leçon du manuscrit. On lit dans les éditions de Perrin : « de ce que j’avois dit à la ducliesse (de Brissac) le jour de l’embrasement du célestin. » — Voyez la lettre du 26 mai précédent, p. 465.