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confesser. Il lui dit que non, et que depuis Pâques il ne pouvoit guère s'assurer de n'avoir pas offensé Dieu[1]. Il lui conta son état ; il étoit à mille lieues d'un péché mortel. Il alla pourtant à confesse, pour la coutume ; il disoit : « Mais faut-il dire à ce récollet comme à Monsieur de Saint-Gervais[2] ? Est-ce tout de même ? » En vérité, une telle âme est bien digne du ciel ; elle venoit trop droit de Dieu pour n'y pas retourner, s'étant si peu gâtée par la corruption du monde. Il aimoit tendrement le fils de M. d'Elbeuf[3] ; c'est un prodige de valeur à quatorze ans. Il l'envoya l'année passée saluer Monsieur de Lorraine, qui lui dit : « Mon petit cousin, vous êtes trop heureux de voir et d'entendre tous les jours M. de Turenne ; vous n'avez que lui de parent et de père : baisez les pas par où il passe, et vous faites tuer à ses pieds. » Le pauvre enfant se meurt de douleur : c'est une affliction de raison et d'enfance, à quoi l'on craint qu'il ne résiste pas. M. le comte d'Auvergne l'a pris avec lui, car il n'a rien à attendre de son père. Cavoie est affligé par les formes. Le duc de Villeroi a écrit ici des lettres dans le transport de sa douleur, qui sont d'une telle force qu'il les faut cacher. Il met au premier rang de toute la fortune, d'avoir été aimé de ce héros[4] , et déclare qu'il méprise toute autre sorte d'estime après celle-là : sauve qui peut. M. de Marsillac s'est signalé en parlant de M. de Lorges comme d'un sujet digne d'une autre récompense

  1. « Et que depuis Pâques apparemment il avoit offensé Dieu. » (Edition de 1734.)
  2. C'est-à-dire comme au curé de Saint-Gervais.
  3. Henri de Lorraine, depuis duc d'Elbeuf, né le 7 août 1661, fils de Charles de Lorraine duc d'Elbeuf (tome I, p. 383, note 3) et de sa seconde femme Elisabeth de la Tour de Bouillon, nièce de Turenne.
  4. Dans l'édition de 1754 : « Il ne voit rien dans sa fortune au-dessus d'avoir été aimé, etc. »