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1675
À MADAME DE GRIGNAN.
JE voudrois mettre tout ce que vous m’écrivez de M. de Turenne dans une oraison funèbre : vraiment votre lettre est d’une énergie et d’une beauté extraordinaire ; vous étiez dans ces bouffées d’éloquence que donne l’émotion de la douleur. Ne croyez point, ma bonne, que son souvenir fût fini ici quand votre lettre est arrivée : ce fleuve qui entraîne tout, n’entraîne pas sitôt une telle mémoire ; elle est consacrée à l’immortalité, et même dans le cœur d’une infinité de gens dont les sentiments sont fixés sur ce sujet. J’étois l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld. Monsieur le Premier[1] y vint : Mme de Lavardin, M. de Marsillac, Mme de la Fayette et moi[2]. La conversation dura deux heures sur les divines qualités de ce véritable héros : tous les yeux étoient baignés de larmes, et vous ne sauriez croire comme la douleur de sa perte est profondément gravée dans les cœurs : vous n’avez rien par-dessus nous que le soulagement de soupirer tout haut et d’écrire son panégyrique. Nous remarquions une chose, c’est que ce n’est pas depuis sa mort[3] que l’on admire la grandeur de son cœur, l’étendue de ses lumières et l’élévation de son âme : tout le monde en étoit plein pendant sa vie ; et vous pouvez penser ce que fait sa perte par
- ↑ LETTRE 431 (revue sur une ancienne copie). — Henri de Beringhen, premier écuyer du Roi. Voyez tome II, p.185, note 3.
- ↑ Tel est le texte du manuscrit, et des impressions de 1725, 1726 et 1734. Perrin, dans sa seconde édition, a ainsi corrigé la phrase : « J’étois l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld, avec Mme de Lavardin, Mme de la Fayette et M. de Marsillac. Monsieur le Premier y vint ; la conversation, etc. »
- ↑ On lit à sa mort, pour depuis sa mort, dans les éditions de 1725 et 1726.