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dessus ce qu’on étoit déjà ; enfin, ma bonne, ne croyez point que cette mort soit ici comme les autres. Vous faisiez trop d’honneur au comte de Guiche ; mais pour l’un des deux héros de ce siècle, vous pouvez en parler tant qu’il vous plaira, sans croire que vous ayez une dose de douleur plus que les autres. Pour son âme, c’est encore un miracle qui vient de l’estime parfaite qu’on avoit pour lui ; il n’est pas tombé dans la tête d’aucun dévot qu’elle ne fût pas en bon état : on ne sauroit comprendre que le mal et le péché pussent être dans son cœur. Sa conversion si sincère nous a paru comme un baptême[1]. Chacun conte l’innocence de ses mœurs, la pureté de ses intentions, son humilité, éloignée de toute sorte d’affectation, la solide gloire dont il étoit plein, sans faste et sans ostentation, aimant la vertu pour elle-même, sans se soucier de l’approbation des hommes ; une charité généreuse et chrétienne. Vous ai-je pas conté comme il rhabilla ce régiment anglois[2] (il lui en coùta quatorze mille francs), et resta sans argent[3] ? Les Anglois ont dit à M. de Lorges qu’ils achèveroient de servir cette campagne pour le venger ; mais qu’après cela ils se retireroient, ne pouvant obéir à d’autres qu’à M. de Turenne. Il y avoit de jeunes soldats qui s’impatientoient un peu dans les marais, où ils étoient dans l’eau jusqu’aux genoux et les vieux soldats leur disoient « Quoi ! vous vous plaignez, on voit bien que vous ne connoissez pas M. de Turenne : il est plus fâché que nous quand nous sommes mal ; il ne songe, à l’heure qu’il est, qu’à nous tirer d’ici ; il veille quand nous dormons ; c’est notre père ;

  1. Voyez la lettre à Bussy, du 27 août 1675, p. 92.
  2. Le mot anglois n’est que dans l’édition de 1754.
  3. Voyez plus haut, lettre 426, p. 34, la note 13, extraite d’une lettre officielle.