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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/278

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1684 tous les moments qui retardent son départ ; elle a saintement oublié son mari, sa fille, son père et toute sa famille ; elle dit à toute heure :

Çà courage, mon cœur, point de foiblesse humaine.[1]

Il paroît qu’elle est exaucée, elle touche au moment bienheureux qui la sépare pour jamais de notre continent ; elle suit la loi de l’Évangile, elle quitte tout pour suivre Jésus-Christ. Cependant on s’aperçoit dans sa maison qu’elle ne revient point dîner ; on va aux églises voisines, elle n’y est pas ; on croit qu’elle viendra le soir, point de nouvelles ; on commence à s’étonner, on demande à ses gens, ils ne savent rien ; elle a un petit laquais avec elle, elle sera sans doute à Port-Royal des Champs, elle n’y est pas ; où pourra-t-elle être ? On court chez le curé de Saint-Jacques du Haut-Pas ; le curé dit qu’il a quitté depuis longtemps le soin de sa conscience, et que la voyant toute pleine de pensées extraordinaires, et de desirs immodérés de la Thébaïde, comme il est homme tout simple et tout vrai, il n’a point voulu se mêler de sa conduite ; on ne sait plus à qui avoir recours : un jour, deux, trois, six jours ; on envoie à quelques ports de mer, et par un hasard étrange, on la trouve à Rouen sur le point de s’en aller à Dieppe, et de là au bout du monde. On la prend, on la ramène bien joliment, elle est un peu embarrassée :

J’allois, j’étois… l’amour a sur moi tant d’empire.[2]

Une confidente déclare ses desseins ; on est affligé dans la famille ; on veut cacher cette folie au mari, qui n’est pas à Paris, et qui aimeroit mieux une galanterie

  1. 3. Ce vers déjà cité est emprunté au Tartuffe, acte IV, scène III : Allons, ferme mon cœur, point de foiblesse humaine !
  2. 4. Rotrou, Venceslas, acte IV, scène IV.