Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

croyons que, sans y mettre aucun apprêt, sans se préoccuper de leur succès pour le présent ni pour l’avenir, elle avait conscience et se sentait heureuse d’y verser toutes les saillies, toutes les réflexions fines, tous les mots éloquents que son fertile génie trouvait sans peine ; que, sachant très-bien l’admiration dont elles étaient l’objet, elle y souscrivait sans en être fière, sans en concevoir de hautes espérances de gloire, mais non sans en être agréablement flattée. Disons même qu’il est presque impossible qu’en les écrivant, malgré la rapidité avec laquelle courait sa plume, elle ne se plut souvent à exciter encore, par un léger et facile effort, l’enjoument, la finesse, la verve de son esprit, soit pour se divertir par cette épreuve faite en jouant sur elle-même, soit pour mieux satisfaire son obligeant désir d’amuser sa fille ou ses amis, soit même pour s*attirer ces éloges, ces admirations, dont elle ne croyait, au reste, qu’une partie, et dont sans doute elle se fût passée très-aisément. Cette espèce de calcul ingénieux et rapide, qui n’est qu’un léger coup de fouet donné à l’esprit, qu’emporte assez sa propre verve, ne se fait-il pas sentir dans ce passage, qui, nous n’en doutons pas, a été écrit aussi vite que d’autres : « Je ne vois pas, dit-elle à sa fille, un moment où vous soyez à vous ; je vois un mari qui vous adore, qui ne peut se lasser d’être auprès de vous, et qui peut à peine comprendre son bonheur. Je vois des harangues, des infinités de compliments, de civilités, de visites ; on vous fait des honneurs extrêmes, il faut répondre à tout cela : vous êtes accablée ; moi-même, sur ma petite boule, je n’y suffirais pas. Que fait votre paresse pendant tout ce fracas ? elle souffre, elle se retire dans quelque petit cabinet, elle meurt de peur de ne plus retrouver sa place ; elle vous attend dans quelque moment perdu, pour vous faire au moins souvenir d’elle, et vous dire un mot en passant. Hélas ! dit-elle, m’avez-vous oubliée ? Songez que je suis votre plus ancienne amie, celle qui ne vous a jamais abandonnée, la fidèle compagne de vos plus beaux jours ; que c’est moi qui vous consolais de tous les plaisirs, et qui même quelquefois vous les faisais haïr ; qui vous ai empêchée de mourir d’ennui, et en Bretagne et dans votre grossesse. Quelquefois votre mère troublait nos plaisirs, mais je savais bien où vous reprendre : présentement

    . En effet, il lui arrive souvent d’écrire plus de vingt lettres par mois à sa fille : et cela, non dans la solitude des Rochers, mais à Paris, au milieu des affaires, des visites, des fêtes, sans compter les correspondances avec d’autres, qui allaient leur train.