Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je ne sais plus ou j’en suis ; les honneurs et les représentations me feront périr, si vous n’avez soin de moi. Il me semble que vous lui dites en passant un petit mot d’amitié, vous lui donnez quelque espérance de vous posséder à Grignan ; mais vous passez vite, et vous n’avez pas le loisir d’en dire davantage[1]. Le devoir et la raison sont autour de vous, et ne vous donnent pas un moment de repos ; moi-même, qui les ai toujours tant honorés, je leur suis contraire et ils me le sont : le moyen qu’ils vous laissent le temps de lire de pareilles lanterneries ? »

On fait très-bien, toutes les fois qu’on veut se rendre compte de la composition des lettres de madame de Sévigné, d’éloigner toute idée d’artifice et d’ambition littéraire, d’immoler à la gloire de cette femme unique tous les talents épistolaires à la Pline le jeune, et de proclamer le naturel comme étant l’attribut propre et distinctif de son génie. Mais, pour la juger au vrai point de vue, pour mieux saisir les traits de cette délicate physionomie, il faut reconnaître que le naturel se mélange chez elle d’une douce et facile coquetterie. Madame de Sévigné unit fréquemment à une naïveté très-réelle, des raffinements ingénieux, quelquefois même légèrement subtils. Elle est femme ingénue et elle est artiste habile : mais, ce qu’il ne faut pas oublier, son art lui-même est tout de premier mouvement ; ses raffinements lui coûtent peu ; ils sont improvisés comme le reste. C’est une précieuse pleine de bonhomie, de feu et d’abandon ; c’est un bel esprit qui improvise d’après son âme et son cœur, et qui désirant déplaire aux autres, y tient bien plus pour les autres que pour lui-même.

P. JACQUINET.

(Extrait du Dictionnaire encyclopédique de la France ; Univers pittoresque).

  1. La préciosité de ce passage est charmante. Mais quelquefois madame de Sévigné tombe dans une autre espèce de préciosité plus apprêtée et moins agréable. Elle écrit à Bussy en 1680, à cinquante-quatre ans : « Je suis un peu fâchée que vous n’aimiez pas les madrigaux. Ne sont-ils pas les maris des épigrammes ? Ce sont de si jolis ménages, quand ils sont bons ! » De pareils traits sont rares heureusement. Madame de Sévigné n’avait pu traverser tout à fait impunément l’hôtel de Rambouillet.