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je me débarrasser entièrement de ces maudites fièvres que je traîne après moi depuis Singapour. J’ai cru pendant quelque temps en être guéri, mais Poulo-Pinang, Batavia et Padang étaient de mauvaises stations pour un convalescent. Padang surtout n’a pas voulu me laisser partir sans me donner un souvenir, un baiser. Les caresses de la terre malaise sont aussi perfides que celles des femmes ! — Sumatra et Java, avec leur végétation luxuriante, leurs fleurs embaumées, aux énivrantes senteurs, brûlent notre pauvre sang européen qui n’y résiste pas. J’ai payé le tribut comme tant d’autres. Nous sommes onze malades à bord… Dans ces îles de la Sonde, la nature enfante des poisons !

3 octobre 1852.
En mer.

« Le capitaine Cazalis a aujourd’hui 36 ans et nous n’avons pas bu de champagne. — Je crois qu’il y a un sort jeté sur nous ; point de fête et mauvais temps. Cicéron ou tout autre des anciens se serait cru perdu au milieu de tous les présages qui se manifestent autour de nous. Ce matin un cadavre a passé le long du bord et le soleil est apparu entouré d’un cercle noir. — Il y eut une éclipse à la mort de César : bah ! une éclipse se voit tous les jours ; rien n’est plus commun, cela s’annonce dans les almanachs ; mais M. Arago lui-même n’aurait pas prédit ce cercle noir. »

4 octobre 1852.

« La mer fait beaucoup et finit par vous disposer à la mélancolie :

  « Nil citius arescit lacrymas. »