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À KOLOMEA.

Ils résolurent d’y envoyer le plus gros d’entre eux, afin qu’il l’explorât et leur en rapportât des nouvelles. Mon loup s’y faufile doucement. Il voit les yeux du matou qui reluisent et les prend pour des charbons ardents. Mais, comme il veut s’en approcher, le chat lui saute sur la tête et l’éborgne à coups de griffes, le cheval se lève et le régale d’une ruade. Le loup, effrayé, tente de s’enfuir. Il rencontre les cornes de la vache qui le clouent contre la muraille. La poule piétine sur son dos en caquetant, l’oie et le canard courent entre ses jambes et lui font perdre l’équilibre. Il parvient, après de grands efforts, à recouvrer sa liberté, et il se sauve dans la campagne, glacé par le champ du coq, qui le poursuit de sa voix stridente. Mon loup arrive vers les siens dans un état fort pitoyable. « Ah ! mes bons amis, leur dit-il, à quels périls m’avez-vous exposé ! La hutte est remplie de monde. Lorsque j’y pénétrai, tout était obscur. Je m’approchai du foyer où je vis luire des braises. Mais, au même instant, la cuisinière se jette sur moi et m’aveugle avec son couteau, le domestique m’étourdit d’un coup de fléau, le propriétaire lui-même me poursuit avec une fourche dont les dents m’ont laissé d’affreuses blessures. Quant à sa femme, elle ne trouve rien de mieux que de me frapper avec son rouet, tandis que les servantes font crier leurs ciseaux à mes oreilles. Je me dégage avec une peine infinie, j’atteins heureusement la porte, et, au moment où je me précipite sur la route, j’entends un inconnu commander d’un ton criard : « Poursuivez-le ! poursuivez-le ! » Les loups en surent assez. Ils partirent au galop, comme nous, tout à l’heure, dans les montagnes Noires. »

Il faisait grand jour lorsque M. Adam s’arrêta devant la porte de sa seigneurie. Un écriteau y était appliqué.