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UN JOURNALISTE MODERNE

Il laissa courir ses doigts sur les touches et se mit à jouer.

Andor ne savait si le comte jouait un morceau ou s’il suivait simplement les inspirations de sa fantaisie ; mais le jeu du vieillard faisait sur lui un effet prodigieux.

Ce fut d’abord comme la chaleur étouffante précédant l’orage ; après, les notes grondèrent retentissantes comme le tonnerre, fulgurantes comme l’éclair. Soudain, tous les éléments semblèrent se déchaîner, toutes les passions éclater à la fois. On entendait tantôt le cri effrayant du fou, tantôt des pleurs déchirants ; puis, cette terrible tempête fit place aux accents de la plainte timide, de la mélancolie élégiaque, et enfin on eût dit qu’une sainte paix descendait d’en haut, dans des accords sublimes.

Il semblait à Andor qu’un arc-en-ciel consolateur, plein de promesses, allait briller parmi les pins, les sapins verdoyants. Les sons continuaient toujours de plus en plus doux, ainsi que le murmure d’une source ; ils s’éteignirent enfin, sous le bruit monotone de l’eau retombant dans le petit bassin.

— Eh bien, demanda le comte après une pause, comment vous trouvez-vous ?

— Bien, très-bien.