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LA MÈRE DE DIEU.

« Que lui veux-tu, Wewa ? » demanda Mardona qui essayait en vain de rester sérieuse.

Wewa, pour toute réponse, se jeta à genoux devant la Mère de Dieu. Sa chute fut si impétueuse, que la vaisselle de l’armoire résonna. Et, comme Mardona se penchait vers elle pour l’embrasser, Wewa s’écria :

« Je n’en suis pas digne, notre petite Mère ; oh ! pas digne ; laisse-moi baiser tes petits pieds, tes jolis petits pieds d’or ! »

Elle saisit les bottines de Mardona et y appliqua ses lèvres à plusieurs reprises.

« Enfin, voyons ! Que reproches-tu à Sukalou ?

— Elle me poursuit, répondit Sukalou d’une voix pleurarde en aspirant une prise sur le dos de sa main. Elle m’obsède de son amour. Malheureux que je suis ! cette insensée, cette baba

— Moi, une baba ! Ah ! je suis une baba ! cria Wewa en bondissant et en s’approchant si vivement de Sukalou que celui-ci cacha involontairement son visage dans ses mains. J’ai quarante-cinq ans, pas un mois de plus. Cela s’appelle-t-il être vieille, par hasard ? Et ne suis-je pas veuve ? Et n’y a-t-il pas deux ans déjà que mon pauvre Skowrow est mort ? Et n’est-il pas permis à un cœur de femme, après un si long veuvage, d’aspirer à un peu d’amour ? N’est-on pas jeune aussi longtemps qu’on est susceptible de passion ? Je suis encore jeune, mon cher ami, car j’aime, j’aime passionnément. Et qui est l’objet de ma tendresse ? C’est toi, mon chéri, mon petit pigeon, mon bijou ! Oui, je t’aime, je t’adore. Pourquoi donc restes-tu insensible ?