Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/89

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à la boutonnière et le chapeau un peu penché sur une touffe de frisure ; mais là s’arrête la ressemblance. Alfred de Musset est Anglais et Blaze est Allemand : l’un jure par Byron et l’autre par Gœthe, tout en se réservant chacun son originalité. Les Vergissmeinnicht, les roses, les rossignols, les rêveries sentimentales et le clair de lune allemand n’empêchent en aucune façon Henri Blaze d’être un esprit français très net, très moqueur et très clair : il sait mettre une petite fleur bleue cueillie au bord du Rhin dans le limpide verre d’eau de Voltaire. La connaissance de la musique et des grands maîtres de cet art lui fournit une veine de comparaisons et d’effets qui ne sont pas à la disposition des poètes, ordinairement médiocres dilettanti. Nous ne pouvons pas analyser ici en détail son œuvre poétique, qui est considérable, et a fallu nous contenter d’esquisser le caractère du talent de l’auteur. Au Souper chez le commandeur sont joints : la Voie lactée, Ce que disent les marguerites, Églantine. Dans les Intermèdes et poëmes, publiés en 1853, sont contenus : Perdita, le Petit Chaperon rouge, Vulturio, Bella, Frantz Coppola et Jenny Plantin, qui est peut-être la pièce maîtresse du recueil. C’est l’histoire touchante d’une jeune fille qui s’est éprise d’un faux poète, comme il y en a tant de nos jours, l’épouse, l’enrichit et se tue pour mettre une grande et noble douleur dans cette vie bourgeoise et prosaïque. Sacrifice inutile ! le Manfred de boulevard oublie la morte et devient vaudevilliste. Le mélange d’exaltation et d’ironie de ce poème produit des effets nouveaux que rend plus sensibles encore un cadre de vie moderne.

Dans l’Enfer de l’esprit, son premier volume, et les Demi-teintes, autre recueil de vers qui le suivit bientôt, Auguste Vacquerie, qu’une critique superficielle désignait comme disciple et enthousiaste de Victor Hugo, a fait preuve au contraire d’une originalité presque farouche, qui l’isole dans le clan romantique. On peut aimer, admirer un maître et se dévouer à lui jusqu’au fanatisme, sans le copier pour cela. Rien ne ressemble moins au débordant lyrisme, à l’exubérance intarissable de Victor Hugo, que la manière