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MARQUIS DE SADE — 1779
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m’écrire ; j’attends votre lettre avec empressement, je répondrai de même.

J’ai très bien lu et très bien compris tout ce qui est écrit ci-dessus. Elle dit vrai en tout, jusqu’au mot « ieou vous aimé ». Je me suis aperçue de cela depuis longtemps. Adieu, monsieur l’avocat, je serai discrète…

Ajoutez, madame : « Si je peux ! » En vérité elle est sorcière ! Adieu.


Mademoiselle de Rousset fait le récit du séjour à Paris du père Jean-Baptiste. (8 mai 1779).

Le père Jean-Baptiste est venu à Paris pour je ne sais quelle affaire. Sa plus grande, à ce que j’ai pu connaître, si toutefois je me connais en moines, c’est qu’ayant amassé quelques louis dans les différentes communautés où il a régi les affaires, il est venu les répandre dans la capitale. Il partit en poste de l’Isle dans un bon cabriolet appartenant au monsieur avec qui il est venu. J’ai compris dans différentes conversations que le monsieur anonyme était abbé ou prêtre, devant faire ici un plus long séjour que le capucin pour se rassasier du doux plaisir de caresser les filles. Ne m’accusez pas de méchanceté, monsieur l’avocat. Je ne vous dis à la lettre que ce qu’il nous a dit lui-même dans tous ses propos coupés. Car un jour : « Je serais venu plus tôt, nous dit-il, mais j’ai voulu passer chez quelqu’un pour l’avertir de prendre garde à lui ; ici chaque district a sa police. Mgr l’archevêque paie, dit-on, des espions, etc. » J’ai conclu de là que ce ne pouvait être qu’un abbé ou un prêtre. Il n’y a pas de mal à commettre le mal, mais il y en a quand les autres le savent.

Il se présenta chez madame de Sade muni d’une lettre de madame de Cavaillon, se disant intime de toute la famille. Madame de Sade, qui l’avait d’abord reçu dans une antichambre, le reçut avec plus d’égard et fit la lecture de sa lettre. Dans l’intervalle, nous dîmes des choses triviales ; [il] me demanda si je connaissais la Provence. « Mais oui… un peu… — J’ai été bien fâché, me dit-il, de n’y avoir pas vu M. le marquis pendant qu’il y a été. Çà toujours été une de mes passions de le connaître. — Vous verrez un très aimable homme, lui dis-je. Quand sera-ce, je n’en sais rien ; sa famille s’oppose à sa liberté. » Ici il prit feu, se tourna du côté de madame de Sade et lui dit qu’il fallait qu’elle se fît une raison, que dans quelque temps on verrait, que M. le marquis avait toujours abusé de sa liberté…… « Comment, lui dis-je avec impatience, ne s’est-il pas bien comporté dans son dernier voyage ? — Non, dit-il… — Prouvez-moi donc cela, je ne l’ai pas quitté d’un moment, que je connaisse ses fautes. — Vous, à la Coste ? Vous de ce pays-là ? Vous vous êtes trouvée au départ de M. le marquis ? — Oui, oui, oui ! — Et la dépossession de l’ancien viguier pour en pourvoir Pépin, homme ennemi de toute la famille, qu’en dites-vous ? N’aurait-il pas dû consulter sa famille ? — Il n’a jamais cru, lui dis-je, qu’une misère de cette nature dût être mise en délibération…… » Il dit que le bruit avait

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