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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


des vivres, avec quinze sols par jour, lui et sa famille, et avoir encore une montre dans son gousset.

Un tas de coquins n’ayant ni vestes ni souliers, dont beaucoup se sont trouvés fouettés et marqués, ont été forcer les manufactures pour emmener les ouvriers de force et de bonne volonté. Leur [assemblée] se faisait ici, dans le faubourg, armés de gros bâtons, d’outils et jusque de planches. Le premier jour, ils ont foncé dans le faubourg Saint-Antoine, à la maison de ce nommé Réveillon qui était en fuite, et, malgré la garde, trop faible pour résister à trois mille personnes, ils ont tout cassé, brisé, bu le vin, les liqueurs, jusqu’à des drogues de peinture qui en a empoisonné une partie. Ils ont brûlé les billets de caisse d’escompte, par générosité, prétendant qu’ils n’étaient pas voleurs. Mais les autres jours, après, ils ont pillé, volé les maisons, attaquant et renversant les voitures, faisant donner tout l’argent que l’on avait.

Il fallait, pour qu’ils vous laissent tranquilles, dire que l’on était du tiers et accepter le bâton qu’ils vous donnaient. Le nombre s’est accru jusqu’à huit mille. Cela me paraît bien fort, mais les troupes, le guet, la maréchaussée étaient trop faibles ; il a fallu faire venir deux régiments de cavalerie.

L’on a tiré à balles dessus ; l’on en a beaucoup tué, pendu quelques-uns, et enfermé dans des maisons de force beaucoup. Il a péri plus d’innocents que de coupables : la foule des curieux qui était pêle-mêle, le monde aux fenêtres. Les malfaiteurs sur les toits démolissant, jetant les tuiles, pierres, sur les troupes, l’infanterie s’est collée contre les murs et a tiré à balles. Tant pis pour ceux qui se sont trouvés au bout. Ils ne pouvaient faire autrement. Ils ne paraissent plus dans la ville. Il y en a encore beaucoup hors de Paris, mais tout est gardé, de façon que l’on ne les craint plus. Les troupes restent à portée de secourir les endroits où ils voudraient paraître……

À ce moment-ci, l’on me répète des propos qui se tiennent dans la rue, inconcevables tant par leur absurdité que leur inconséquence et leur hardiesse. Les troupes sont toujours baïonnette au bout du fusil, doublées partout et des corps de réserve prêts à marcher à l’endroit où recommencerait le tumulte. Les têtes sont tournées par la raison que vous dites. Les états ouvriront toujours lundi, c’est-à-dire on se rassemblera pour aller processionnellement entendre une messe du Saint-Esprit dont on a grand besoin pour remettre les têtes.


Lions aîné avise l’avocat des troubles qui se sont produits. (15 avril 1789).

Monsieur,

J’ai l’honneur de répondre à la vôtre du trente mars et, si j’ai tant tardé, c’est les troubles qui se sont élevés dans ce pays qui m’en ont empêché. Une menace réitérée du menu peuple, et qui s’est effectuée, nous a obligés de nous exécuter. La noblesse a donné l’exemple ; il n’y en a