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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


qui réclame, très malicieusement, les frais d’une représentation donnée à la Coste, en juillet 1772, avant que le marquis parte pour l’Italie avec mademoiselle de Launay. Cette affaire, qui risque de rappeler des souvenirs inopportuns, inquiète le citoyen Sade.

L’honnête Paulet, de la Coste, a fait neuf caisses des objets qui ont été sauvés du pillage et les a envoyées chez Gaufridy, où elles seront saisies et mises sous séquestre avant que l’avocat ait seulement songé à les changer de place. Mais c’est surtout la réparation du pillage lui-même que le marquis prétend obtenir. Le ministre a déjà reçu quelques papiers. Le malheur est qu’il fasse lui aussi figure d’accusé et ne sache au juste sur qui il pourra donner son recours au citoyen Sade, qui, maintenant, fait du volume et n’en démordra pas.

Il est devenu secrétaire de sa section et le hasard lui fournit ainsi l’occasion de vider une vieille querelle avec les Montreuil qui sont ses voisins. Voici comme il se venge. Il rencontre son beau-père à l’assemblée de la section. Ils s’entretiennent comme ils ne l’avaient plus fait depuis quinze ans. Le président vient même le voir ; il s’en faut de bien peu qu’il l’invite à déjeuner. Cependant Gaufridy sait-il de quel pouvoir dispose son ami et en quelles occasions il en use ? Il a été nommé (c’est ce qu’il appelle devenir sage) juré d’accusation ! Mais que l’avocat n’oublie pas d’envoyer de l’argent, ou le diable emporte M. le juge s’il ne le fait pas condamner à mort !

La fortune révolutionnaire du ci-devant marquis croît chaque jour. Il doit cela à la Bastille, car c’est un honneur d’y avoir été et la vieille geôle royale est si mal famée qu’on ne songe point à vous demander pourquoi. On le dit, on l’imprime et cela vous vaut une grande considération. Cependant une aventure qui lui fait honneur va arrêter l’ascension de M. de Sade et le compromettre. Il est devenu président de sa section. Le papa Montreuil se tient aux assemblées au pied de sa chaise et, pendant cette présidence, le marquis fait passer sa belle famille à une liste épuratoire, alors qu’il lui aurait suffi d’un mot pour la perdre. Mais une séance orageuse le jette à bas de son fauteuil. Il se refuse avec horreur à mettre aux voies une motion sanguinaire. Il laisse la sonnette à son vice-président et rentre chez lui rendu, crachant le sang. « Dieu merci, écrit-il, m’en voilà quitte ! » Ce trait, même s’il l’embellit un peu, mérite qu’on lui passe l’étripement de quelques milliers de ses semblables qu’il a consommé sur le papier !