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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


cela est pour moi. Mettez bien la gouvernante dans mes intérêts. Je vous embrasse de tout mon cœur. Ce premier décembre.

Une réflexion me fait rouvrir ma lettre, en vertu de la loi que voici :

À l’égard des successions échues aux émigrés en ligne directe et collatérale depuis leur émigration et de celles qui leur écherront[1] par la suite, elles seront recueillies par la république pendant cinquante années à compter du jour de la promulgation de la présente loi sans que, pendant le dit temps, les cohéritiers puissent opposer la mort naturelle des dits émigrés.

Voilà la loi. Si vous voulez que j’aie cette succession, il faut donc que M. de Murs me fasse son héritier de son vivant ; il faut donc mettre les Chabrillan dans l’oubli et ne les faire tenir que le second rang. Il faut qu’on puisse dire : « Sade était plus près que Chabrillan. Or Sade n’a point émigré, donc le bien est à lui ». Sans cela, je n’aurai rien. Au nom de Dieu, surveillez cette affaire ! Elle est assez importante pour ne pas la négliger ; je vous demande avec la plus vive instance de ne la pas perdre de vue et vous embrasse de tout mon cœur. Je vais écrire à madame de Villeneuve qui me paraît toute Quinquin et qui ne m’écrit plus, pas plus que son conseil.

Frimaire. Mettez « citoyen » dans vos lettres. Si on les ouvrait, cela suffirait à faire suspecter et ni vous ni moi ne sommes faits pour l’être.


M. de Sade communique à l’avocat, pour qu’il en use préventivement, le texte d’une pétition qu’il se propose d’envoyer « aux législateurs de la Convention » afin d’échapper aux mesures projetées contre les parents d’émigrés.

Législateurs,

Un décret rigoureux s’exécute. Il est nécessaire, dès que vous le croyez propre au bonheur et à la prospérité de la république. Il est juste, dès qu’un amendement en calme la rigueur. Pour punir les parents des émigrés vous voulez mettre leur bien en séquestre, voilà la loi. Vous voulez bien excepter ceux de ces parents qui se sont visiblement opposés à ce crime national, voilà l’exception.

Cette exception, je la réclame et j’ose vous représenter, législateurs, que personne n’est plus dans le cas d’y prétendre que moi.

Dix ans victime du despotisme ministériel, j’étais encore à la Bastille le trois juillet 1789. J’y popularisais la garnison ; j’y dévoilais aux habitants de Paris les atrocités qui se préparaient contre eux dans ce château. Launay me crut dangereux ; je possède la lettre par laquelle il sollicitait le ministre Villedeuil de m’éloigner d’une forteresse dont je voulais empêcher la trahison à tel prix que ce pût être. On m’enlève ; je suis transféré à Charenton ;

  1. « Echoiront », dans le texte.