Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — AN II.
349


j’y reste neuf mois de plus que l’époque qui brise les fers de tous les prisonniers d’état. J’ignorais tout. On ne peut plus enfin me cacher la révolution ; je suis libre. Un seul mouvement m’anime alors, celui de la reconnaissance. Je veux aller offrir à la patrie qui brise mes fers mon sang, celui de mes enfants. J’en avais deux à lui donner. Je ne les connaissais pas ; leur enfance s’était écoulée dans Paris, lorsque j’habitais ma province, leur jeunesse au service pendant que j’étais à la Bastille. Je les appelle… je les excite à partager ma reconnaissance. Vaines clameurs… désespoir horrible ! Les monstres… ils m’ont fui ; ils ont refusé de connaître leur père ; ils se sont soustraits aux mouvements de leur reconnaissance ! Législateurs, tous ces faits sont de notoriété publique ; j’offre des preuves invincibles pour vous convaincre de tous. Dans cet état de cause, puis-je être responsable de leur crime ? Puis-je l’avoir conseillé, puisque je n’ai jamais vu ceux qui l’ont commis ?

De nouvelles preuves vous convaincront, législateurs, que j’ai fait l’impossible pour les solliciter au retour et que de mes jours je ne leur ai fait passer aucun fonds. Prononcez, législateurs. Puis-je ne pas être dans le cas de l’exception de la loi ? Puis-je ne pas être écouté quand je vous supplie de me conserver un bien que je ne veux employer qu’à former des nœuds qui, brisant les anciens, puissent donner bientôt l’existence à des enfants dont l’éducation et les sentiments me consolent de tous les malheurs dont m’ont accablé les premiers ! Sade.


Le marquis n’a pas obtenu ce qu’il voulait de la complaisance de Fage et de celle des municipalités du Comtat et de Provence ; celle de la Coste lui a fait l’affront de ne pas lire ses discours patriotiques. (22 Nivôse).

Quoique encore à la campagne pour quelques jours[1], mon cher avocat, vous n’en recevrez pas moins ma lettre timbrée de Paris. Je suis bien fâché que cette petite absence me prive du plaisir de faire politesse à la personne que vous m’avez adressée. Si cette personne est encore à Paris à mon retour, je m’empresserai de l’aller chercher. Je connaissais la difficulté de la demande que je vous faisais, mais il me semble que vous ne vous en écartez pas trop puisque l’état de la Coste, que je voulais voir à deux mille, n’est porté dans ce que vous m’envoyez qu’à deux mille deux cent quatre-vingt-seize. Il me semble qu’après avoir écrit et signé que la Coste ne me rapportait que deux mille, je ne serai pas très en défaut en montrant des titres qui prouvent que je n’en retire que deux mille deux cent quatre-vingt-seize. Mais, en lisant cet article de votre lettre avec attention, on y trouve un peu de louche. Est-ce le revenu qui monte à deux mille deux cent quatre-vingt-seize, ou les impositions ? Je vous en demande pardon, mon cher

  1. M. de Sade est en prison depuis le six décembre 1793 ou seize frimaire an II.
26