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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


est bonne ici, elle est fraîche : je ne l’aurais pas cru, n’ayant l’air de venir que de cet étang fangeux qui nous environne.

Alors la princesse, encouragée par l’aimable franchise et par la gaieté vraiment philosophique de sa compagne, l’imite et mange la moitié du triste plat qu’on leur avait apporté.

— Ce qu’il y a d’heureux, dit Adélaïde, c’est qu’au moins notre argent et nos bijoux nous restent ; c’est le principal.

— Ô madame, ces gens-là ne sont pas des voleurs ; ceci est vraiment une vengeance.

— Mais pour quelle raison tombe-t-elle sur moi ? Suis-je la cause de la mort de Kaunitz ? Était-il mon amant ?… Quelle tête ne tournerait pas à l’examen de ces contradictions ?

— Kaunitz, dit Bathilde, a pu faire une étourderie, le prince être la dupe de cette étourderie ; et ces gens-ci, qui n’ont cru que la voix publique, vengent leur frère, vous croyant coupable.

— Allons, il est certain que nous mourrons sans savoir la cause de notre aventure.

— Non, non, madame, nous la saurons… nous la saurons, parce que nous ne mourrons pas ici et que nous aurons le temps de tout apprendre.

Le déjeuner fait, ces malheureuses se livrèrent à leur sombre travail.