y avait encore plus de quinze toises avant que de
toucher le bord. Faites comme vous pourrez, lui
criait-on, traînez-vous par vos mains jusqu’au
rivage, mais vous voyez bien que le vent nous
emporte, il nous est impossible de revenir à
vous ; et le président se glissant, gigotant, se
débattant, faisait tout ce qu’il pouvait pour rattraper
la barque qui fuyait toujours à force de
rames ; s’il y avait un tableau plaisant, c’était
assurément celui de voir ainsi pendu en grande
perruque et en habit noir un des plus graves
magistrats du parlement d’Aix. Président, lui
criait le marquis en éclatant de rire, en vérité
ceci n’est qu’une permission de la providence,
c’est le talion, mon ami, c’est le talion, c’est cette
loi favorite de vos tribunaux ; de quoi vous plaignez-vous
d’être ainsi pendu, n’en avez-vous pas
souvent condamné au même supplice qui ne
l’avait pas mérité plus que vous ? Mais le président
ne pouvait plus entendre : horriblement
fatigué de l’exercice violent où l’on le forçait, les
mains lui manquèrent, et il tombe comme une
masse dans l’eau ; à l’instant deux plongeurs que
l’on tenait tout prêts, volent à son secours ; et
l’on le ramène à bord, mouillé comme un barbet
et jurant comme un charretier. Il commença par
vouloir se plaindre d’une plaisanterie qui n’était
Page:Sade - Historiettes contes et fabliaux, 1926.djvu/179
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE PRÉSIDENT MYSTIFIÉ
161
11