Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/186

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l’économe de la maiſon, il vient voir ſi ce que vous déſirez vaut la peine d’interrompre le Supérieur.

Clément, dont le nom peignait on ne ſaurait moins la figure, était un homme de quarante-huit ans, d’une groſſeur énorme, d’une taille giganteſque, le regard ſombre & farouche, ne s’exprimant qu’avec des mots durs élancés par un organe rauque, une vraie figure de ſatyre ; l’extérieur d’un tyran ; il me fit trembler… Alors, ſans qu’il me fût poſſible de m’en défendre, le ſouvenir de mes anciens malheurs vint s’offrir en traits de ſang à ma mémoire troublée… Que voulez-vous, me dit ce Moine, avec l’air le plus rébarbatif, eſt-ce-là l’heure de venir dans une égliſe ?… Vous avez bien l’air d’une avanturière. — Saint-homme, dis-je en me proſternant, j’ai cru qu’il était toujours temps de ſe préſenter à la maiſon de Dieu ; j’accours de bien loin pour m’y rendre, pleine de ferveur & de dévotion, je demande à me confeſſer s’il eſt poſſible, & quand l’intérieur de ma conſcience vous ſera connu, vous verrez ſi je ſuis digne ou non de me proſterner aux pieds de la ſainte Image. — Mais ce n’eſt pas l’heure de ſe confeſſer, dit le Moine en ſe radouciſſant, où paſſerez-vous la nuit ? Nous n’avons point d’hoſpice… il valait mieux venir le matin ; à cela je lui dis les raiſons qui m’en avaient empêchée & ſans me répondre, Clément alla en