Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/349

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mier mobile de nos caprices, plus ce qui nous conduit eſt criminel, & mieux nous ſommes irrités. Arrivé là, on ne ſe plaint plus que de la médiocrité des moyens : plus leur atrocité s’étend, plus notre volupté devient piquante, & l’on s’enfonce ainſi dans le bourbier ſans la plus légère envie d’en ſortir.

C’eſt mon hiſtoire, Théreſe, chaque jour deux jeunes enfans ſont néceſſaires à mes ſacrifices ; ai-je joui, non ſeulement je n’en revois plus les objets, mais il devient même eſſentiel à l’entiere ſatisfaction de mes fantaiſies, que ces objets ſortent auſſitôt de la ville : je goûterais mal les plaiſirs du lendemain, ſi j’imaginais que les victimes de la veille reſpiraſſent encore le même air que moi ; la moyen de m’en débarraſſer eſt facile. Le croirais-tu, Théreſe ? Ce ſont mes débauches qui peuplent le Languedoc & la Provence de la multitude d’objets de libertinage que renferme leur ſein[1] : une heure après que ces petites filles m’ont ſervi, des émiſſaires ſûrs les embarquent & les vendent aux appareilleuſes de Niſmes, de Montpellier, de

  1. Qu’on ne prenne pas ceci pour une fable : ce malheureux perſonnage a exiſté dans Lyon même. Ce que l’on dit ici de ſes manœuvres eſt exact : il a coûté l’honneur à quinze ou vingt mille petites malheureuſes ; ſon opération faite, on les embarquait ſur le Rhône, & les villes dont il s’agit n’ont été trente ans peuplées d’objets de débauches, que par les victimes de ce ſcélérat. Dans cet épiſode-ci, il n’y a de romaneſque que le nom.
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