Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 71 )


individus, ce ne fut plus la force physique qui détermina les rangs, ce fut celle de l’or ; l’homme le plus riche devint le plus fort, le plus pauvre devint le plus faible ; à cela près des motifs qui fondaient la puiſſance, la priorité du fort fut toujours dans les lois de la Nature, à qui il devenait égal que la chaîne qui captivait le faible fût tenue par le plus riche ou par le plus vigoureux, & qu’elle écraſât le plus faible ou bien le plus pauvre ; mais ces mouvemens de reconnaiſſance dont tu veux me compoſer des liens, elle les méconnaît, Théreſe ; il ne fut jamais dans ſes loix que le plaiſir où l’un ſe livrait en obligeant, devint un motif pour celui qui recevait, de ſe relâcher de ſes droits ſur l’autre : vois-tu chez les animaux qui nous ſervent d’exemples, ces ſentimens que tu réclames ? Lorſque je te domine par mes richeſſes ou par ma force, eſt-il naturel que je t’abandonne mes droits, ou parce que tu as joui en m’obligeant, ou parce qu’étant malheureuſe tu t’es imaginée de gagner quelque choſe par ton procédé ? Le ſervice fût-il même rendu d’égal à égal, jamais l’orgueil d’une ame élevée ne ſe laiſſera courber par la reconnaiſſance ; n’eſt-il pas toujours humilié celui qui reçoit ? Et cette humiliation qu’il éprouve ne paye-t-elle pas ſuffiſamment le bienfaiteur, qui par cela ſeul, ſe trouve au-deſſus de l’autre ? N’eſt-ce pas une jouiſſance pour l’orgueil, que de s’é-

E 4