Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/371

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Roland, qu’il faut d’abord vous peindre, était un homme petit, replet, âgé de trente-cinq ans, d’une vigueur incompréhenſible, velu comme un ours, la mine ſombre, le regard féroce, fort brun, des traits mâles, un nez long, la barbe juſqu’aux yeux, des ſourcils noirs & épais, & cette partie qui différencie les hommes de notre ſexe, d’une telle longueur & d’une groſſeur ſi démeſurée, que non-ſeulement jamais rien de pareil ne s’était offert à mes yeux, mais qu’il était même abſolument certain que jamais la Nature n’avait rien fait d’auſſi prodigieux ; mes deux mains l’enlaçaient à peine, & ſa longueur était celle de mon avant-bras. À ce phyſique, Roland joignait tous les vices qui peuvent être les fruits d’un tempérament de feu, de beaucoup d’imagination, & d’une aiſance toujours trop conſidérable pour ne l’avoir pas plongé dans de grands travers. Roland achevait ſa fortune, ſon pere qui l’avait commencée l’avait laiſſé fort-riche, moyennant quoi ce jeune homme avait déjà beaucoup vécu : blaſé ſur les plaiſirs ordinaires, il n’avait plus recours qu’à des horreurs ; elles ſeules parvenaient à lui rendre des déſirs épuiſés par trop de jouiſſances ; les femmes qui le ſervaient étaient toutes employées à ſes débauches ſecrettes, & pour ſatisfaire à des plaiſirs un peu moins malhonnêtes dans leſquels ce libertin pût néanmoins trouver le ſel du crime qui le délectait mieux que tout ;