Aller au contenu

Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 158 )


ne m’étais pas aſſez ſouvenue de ſes maximes horribles, ou, ma malheureuſe faibleſſe m’engageant toujours à juger les autres d’après mon cœur, j’avais mal-à-propos ſuppoſé que cet homme devait ſe conduire avec moi comme je l’euſſe certainement fait avec lui.

Il arrive : & comme j’avais demandé à le voir ſeul, on le laiſſe en liberté dans ma chambre. Il m’avait été facile de voir aux marques de reſpect qu’on lui avait prodiguées, quelle était ſa prépondérance dans Lyon. — Quoi ! c’eſt vous, me dit-il en jetant ſur moi des yeux de mépris, je m’étais trompé ſur la lettre ; je la croyais d’une femme plus honnête que vous, & que j’aurais ſervie de tout mon cœur ; mais que voulez-vous que je faſſe pour une imbécille de votre eſpece ? Comment, vous êtes coupable de cent crimes tous plus affreux les uns que les autres, & quand on vous propoſe un moyen de gagner honnêtement votre vie, vous vous y refuſez opiniâtrement ? On ne porta jamais la bêtiſe plus loin. — Oh ! Monſieur, m’écriai-je, je ne ſuis point coupable. — Que faut-il donc faire pour l’être, reprit aigrement cet homme dur ? La premiere fois de ma vie que je vous vois, c’eſt au milieu d’une troupe de voleurs qui veulent m’aſſaſſiner ; maintenant c’eſt dans les priſons de cette ville accuſée de trois ou quatre nouveaux crimes, & portant, dit-on, ſur vos épaules la marque aſ-